Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Mort et Vif - Des zombies, des hommes et un nouveau chapitre chaque semaine

Mort et Vif - Des zombies, des hommes et un nouveau chapitre chaque semaine
  • Mort et vif à la fois, comment est-ce possible ? Suivez les histoires de personnages communs et hors du commun à travers un monde infestés de morts vivant. Lorsque la situation devient extraordinaire, certains personnages se révèlent l'être tout autant.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
16 août 2014

Mort et Vif, fin du premier tome.

Chers lecteurs,

 

Avec la publication de l'épilogue, "Mort et Vif" vient tout juste de toucher à sa fin et je voulais en profiter pour vous remercier tous aussi nombreux que vous avez pu l'être pendant ces longs mois de parution.

Partager cet article

Vous aimez ?
0 vote
Publicité
15 août 2014

Mort et Vif - Epilogue

Libéria, Afrique de l'Ouest. Camp sanitaire de Médecins Sans Frontières. 24 juillet 2014, soixante treize jours avant le début de la contamination.

- Nom de Dieu, Peter, tu vas bien vouloir m'écouter ? L'épidémie est hors de contrôle, tu comprends, hors de contrôle. Tu dois prévenir l'OMS. Et en urgence !

- Je n'ai cessé de les appeler mais ils ne me croient plus maintenant. A chaque épidémie de fièvre Ebola, c'est la même chose. Ils savent bien qu'il n'y a rien à faire d'autre que d'attendre que les ONG sur place fassent le travail. Et c'est ce que tu fais très bien Claire. Ou en tout cas, c'est ce que tu faisais très bien jusqu'à présent.

- Comment ça, "jusqu'à présent" ? Tu ne vas tout de même pas me débarquer ?

- Je crois que tu as besoin de repos. Tu es sur les nerfs depuis quelques temps déjà. Reviens parmi nous te ressourcer, cela te fera le plus grand bien.

- Mais qu'est-ce que tu me racontes là ? Je t'annonce que l'épidémie est hors de contrôle, et toi, tu me proposes de prendre des vacances ? Mais tu as perdu la tête Peter ?

- Un peu de respect s'il te plaît ! Laisse-moi te rappeler que je suis ton supérieur. Claire… Evitons de monter le ton, tu veux bien ? Soyons lucides. L'OMS ne fera rien de plus pour l'instant. Ils m'ont encore envoyé valser la semaine dernière. Ils rétorquent qu'ils ont leurs propres agents sur place et qu'ils n'ont pas le même point de vue de la situation que nous, ici à MSF. Que veux-tu que je leur dise de plus ?

- Je ne sais pas moi, c'est ton travail, pas le mien. Dis leur que le Docteur Janssens l'a lui-même annoncé sur son compte Twitter. S'ils ne nous font pas confiance, peut-être l'écouteront-ils ? Ou bien dis-leur que plus de cinq cent personnes sont déjà mortes ici. Combien en décompteront-ils avant d'agir ? Mille ? Dix mille ?

- Peut-être plus… Qui sait ?

- Mais enfin Peter, l'épidémie a déjà passé les frontières de la Guinée, du Nigéria, de la Sierra Leone et maintenant du Libéria. Tu connais ces populations, elles ne tiennent pas en place. Guerres, famines, sécheresses, funérailles… Tout les pousse à bouger. Et la fièvre avec elles. Si nous ne les cloisonnons pas maintenant, si nous les laissons se disperser dans la nature, nous compterons des milliers de morts. Et nous ne pourrons plus contenir la diffusion du virus.

- Je sais tout ça Claire. Tu prêches un convaincu. Mais comme à chaque fois, il faudra attendre que le virus frappe à la porte de nos pays pour qu'ils agissent.

- Et les malades ici alors ? Ils n'ont qu'à crever, c'est ça ?

- Oui, et c'est bien pour cela qu'on existe. Nous sommes là-bas pour faire le sale boulot que l'OMS refuse de prendre en charge.

- Quelle classe…

- Tu sais tout ceci aussi bien que moi, Claire. Ne jouons pas aux innocents et aux naïfs maintenant. Il est trop tard pour se plaindre.

- Pouff…

- Je persiste à penser que tu devrais rentrer. Je te désaffecte du poste à compter d'aujourd'hui. Demain, tu prends le premier vol pour Paris.

- Mais tu ne peux pas faire ça. Qui va faire mon job sur place si je pars ?

- Ne t'inquiète pas, Jean-Michel te remplacera.

- Jean-Michel…

- Et je te promets de recontacter l'OMS dès demain. Mais sans nouveaux arguments, je connais déjà leur réponse.

- Malheureusement… Attends une seconde s'il te plaît, j'ai un appel sur l'autre ligne. Oui, allô ? Je vous écoute. Non ? Ce n'est pas possible ! Merci de m'avoir prévenue. Au revoir. Peter ? Peter, tu es toujours là ?

- Oui Claire, je n'ai pas bougé, comme tu me l'as demandé. Que se passe-t-il ?

- Tu voulais du neuf ? Sheik Umar Khan est mort. Même lui n'a pas résisté. Si le spécialiste chargé de contenir la maladie est tombé au combat, peut-être que l'OMS comprendra l'urgence de la situation, non ?

- Ok, je les appellerai demain matin, à la première heure. Mais cela me conforte dans l'idée que tu dois rentrer. Et pas seulement pour te reposer, mais également pour te protéger. Si tu restes sur place, tu es…

- Je ne suis pas encore foutue Peter. Ne t'en fais pas pour moi. Fais ce que tu as à faire au plus vite et tiens-moi au courant.

- Rentre s'il te plaît. Ne me force pas à te l'ordonner.

- Je suis déjà sur le départ Peter. Au revoir.

- Prend soin de toi Claire. Et à très vite sur Paris.

Poufff… S'il croit que je vais rentrer au bercail comme un petit bobo parisien, c'est qu'il me connait bien mal. Ma place est ici auprès des gens qui en ont besoin. Mais il a raison sur un point : je dois prendre mes précautions, et me protéger plus que jamais.

Mais indéniablement, j'ai reçu un coup au moral. C'est que je ne m'attendais pas à me faire débarquer de mon poste. Nous ne sommes pas si nombreux à pouvoir le prendre, et, même si je ne doute pas des compétences de Jean-Michel, force est de constater que depuis plus de dix ans, je suis bien la plus expérimentée et la plus capable des médecins de faction de l'organisation pour ce genre de situation. Alors si Peter a pris une telle décision, s'il tient tant que ça à me voir revenir à Paris, c'est qu'il me cache certainement quelque chose. Peut-être ne m'a-t-il pas tout dit ?

Bah… Qu'importe. Plus qu'une dernière nuit à passer ici, alors, je préfère me perdre dans mes pensées. Des pensées inquiétantes et tristes à la fois. Car si nous n'arrivons à contenir une épidémie qui n'a fait que quelques centaines de morts, comment ferons-nous le jour où l'une d'entre elles en fera des centaines de milliers ?

Toc, toc, toc. On frappe à la porte de ma chambre.

- Qui est-ce ?

- C'est moi, c'est Maria.

- J'arrive Maria. J'arrive…

Je suis un peu surprise. Il est rare que Maria vienne me déranger à une heure tardive. Elle est plutôt du genre casanier. Dès la nuit tombée, une tisane et au lit. C'est ça son rythme habituel, mais ce soir, elle doit être perturbée, d'autant qu'elle ne cesse de frapper à cette porte.

-  Oui, me voilà Maria. Alors, que vous arrive-t-il ma chère ?

- Madame Austin, je m'excuse de venir à cette heure-ci, mais un nouveau malade est arrivé et…

- Et bien, mettez-le en quarantaine avec les autres, comme d'habitude.

- C'est-à-dire que celui-ci est un peu différent. Il faudrait que vous veniez voir.

- Comment ça, "différent" ?

- Je vous en prie Madame Austin, vous devez venir voir. Il n'y a que vous ici qui pourrez dire.

- Ok, très bien. Laissez-moi dix minutes, le temps de m'équiper puis je descendrai vous rejoindre. Où l'avez-vous placé ce malade ?

- Il est toujours dans la cours, Madame.

- Dans la cours ? Mais pourquoi ne le faites-vous pas entrer sous la tente ?

- Il faut le voir… Il est différent… Et les hommes n'osent pas l'approcher vous savez. Ils ont peur.

Je suis piquée dans ma curiosité. Qu'a-t-il bien pu arriver à cet homme pour le rendre si différent ? C'est que des cas atteints de maladies graves, j'en ai vus dans ma carrière. Et des pleines brouettes malheureusement. Alors, celui-ci… Raison de plus pour bien s'équiper. Se protéger, c'est la clé de la survie à MSF.

- Ca y est Maria, je suis presque prête. Je prendrai un masque en bas en passant devant le labo. Nous pouvons y aller.

Elle m'emboite le pas pour me montrer le chemin. Elle n'est pas descendue comme je lui avais demandée.  Pourtant, je connais le trajet. C'est un peu chez moi ici. Nous descendons l'escalier extérieur et rejoignons le secteur des tentes. A l'intérieur s'y trouvent les malades atteints de la fièvre Ebola. Certains viennent tout juste d'arriver, d'autres sont presque sortis d'affaire. Enfin, la dernière tente est dédiée aux moins veinards. Et avec ce virus, autant dire qu'ils sont nombreux. Mais on ne les mélange pas. A chaque étape de la maladie sa tente.

Nous les traversons sans perdre une seconde. Maria est au taquet. Elle avance à un rythme soutenu puis s'arrête devant le portique de la cours principale.

- C'est juste là, Madame Austin.

- Vous… Vous ne venez pas ?

- Non, je préfère vous attendre ici.

De plus en plus étrange. De quoi ce malade peut-il bien être atteint pour flanquer une telle trousse à Maria ? Elle en a pourtant vues des vertes et des pas mûres, elle aussi.

J'avance prudemment vers un groupe d'hommes. Ils semblent avoir encerclés un individu qu'ils ont pris la peine de recouvrir d'un sac.

- Que se passent-ils messieurs ? Pourquoi cet homme est-il masqué de la sorte ? Je peux le voir ?

- Attention Madame ! Attention à vous ! On l'a mis comme ça car il est méchant. Très méchant.

C'est Mabrouk, un local qui travaille comme gardien au camp. Son accent est aussi fort que sa loyauté.

- C'est à dire ? Méchant, comment ?

- Il est agressif, vous savez, très agressif. Il veut manger tout le monde. On l'a attaché, sinon, il saute sur tout le monde. N'importe qui… Les enfants, les parents, les sages. Il veut les manger. C'est un fou Madame. Croyez-moi, il est possédé par le démon.

Possédé ? Hum… Si chaque fois qu'un local m'ayant parlé de démon pour décrire un malade avait eu raison, j'aurais dû me reconvertir en exorciste. Mais à la vérité, ces possédés ne cachent bien souvent rien d'autre qu'une maladie, aussi connue de nos services qu'honteuse pour les populations du coin. Et cette fois ci, comme bien souvent, il va falloir que je mette un nom derrière ce démon. Ebola ? Probablement… VIH ? Pourquoi pas… Il n'y a qu'un moyen de le savoir.

Je fais un pas supplémentaire. L'homme semble grogner sous son sac en toile de jute. Mais il ne peut bouger, car maintenu assis au sol par les hommes l'encerclant qui le tiennent à distance à l'aide de fourches et bâtons.

Je me lance. Je veux savoir. Je tends mon bras droit, agrippe le sac et le retire lentement.

- Ahhh !

Prise de panique pendant un court instant, je sursaute tout en faisant un pas en arrière. En pleine nuit, malgré la faible luminosité de la cours, je parviens à fixer l'homme qui me fait face. Et ce que mes yeux observent, ils ne peuvent plus s'en détacher.

Car des malades comme celui-ci, autant dire que je n'en ai jamais vus. Ou plutôt si, j'en ai vus des tonnes au contraire. Mais normalement, les malades dans cet état ne bougent plus car ils sont morts. L'homme qui se tient devant moi est passé à trépas. Je peux mettre ma main à bruler qu'il n'y a plus la moindre étincelle de vie dans cette chose. Mais ce mort, aussi étrange que cela puisse paraitre est toujours bien vif. Et de toute ma carrière, je n'avais jamais rien vu de tel. Mort et vif à la fois, comment une telle aberration est-elle possible ?

Il n'y a qu'un seul moyen de vérifier mon rapide diagnostique, c'est de trouver son pouls, s'il en a un.

- Maintenez-le au sol, s'il vous plait. Et maintenez-le bien fortement.

- Attention à vous Madame Austin. Faites grande prudence avec lui. C'est un démon, je vous l'avais bien dit.

Ils le plaquent de toutes leurs forces au sol et me permettent ainsi de m'en approcher. Je n'ose tâter son cou alors j'essaie sur le poignet. Mais il est bien inutile de s'acharner à trouver quelque chose qui n'existe pas. Vu l'état de sa chair dépecée, de ses articulations arrachées, de ses veines séchées, cet homme a tous les symptômes du décès, et depuis plusieurs jours déjà. Mais alors, qu'est ce qui l'anime de la sorte ? Comment peut-il encore se mouvoir ? Et combien de temps cela va-t-il continuer ? Car l'odeur de puanteur qui l'accompagne en dit long sur le niveau de décomposition d'une partie de son corps.

Non, décidemment, je dois en avoir le cœur net. Je dois fouiller en profondeur.

- Emmenez-le au laboratoire messieurs. Je vais l'ausculter là-bas, j'ai besoin de quelques outils.

Pendant le trajet, j'en profite pour tenter de glaner des informations.

- Dites-moi Mabrouk. Comment est-il arrivé là ? Ce sont ces hommes qui l'ont amené ?

- Oui Madame.

- Et, ont-ils précisé qui il est ? Est-ce l'un d'entre eux ? Un habitant du village peut-être ?

- Nous ne l'avons jamais vu Madame. A non, jamais. Ca, je peux vous le certifier. Ce sont les enfants qui l'ont vu en premier. Il marchait sur le chemin de l'eau. Il était attiré par les enfants. Il voulait les manger. Oh oui, il avait grand faim et il voulait les dévorer. Mais les enfants, au début, ils lui jetaient des cailloux. Ils s'amusaient les enfants. Vous savez… Et puis, comme il s'est approché très près, ils ont eu peur alors ils ont couru au village. Mais il les a suivis.

- Mais pourquoi dites-vous qu'il voulait manger les enfants ? Comment le savez-vous ?

- C'est qu'en arrivant dans le village, Maloumbé s'est approché car il a vu que l'homme n'était pas bien. Il voulait savoir. Il lui a demandé comment ça allait. Puis le démon lui a sauté dessus et l'a mordu au cou. Immédiatement. Nous avons entendu crier, et c'est en arrivant que l'on a vu le démon en train de dévorer Maloumbé. Il lui mangeait la chair et buvait le sang. Il est possédé par le démon cet homme. Nous devons le libérer.

- Laissez-moi le regarder d'abord. Ensuite vous pourrez le libérer.

Nous arrivons enfin au laboratoire. Paradoxalement, l'homme est aussi lymphatique qu'agressif. Il a un mal fou à se déplacer correctement, mais son tronc est très vivace. Malgré les cordes et les bâtons qui le maintiennent, il n'a de cesse de remuer comme une anguille.

Il est vrai qu'il est difficile d'appeler ceci un laboratoire. C'est plus une salle d'opération de fortune qu'un réel laboratoire. Mais je ne me plains pas. C'est mieux que rien.

Ils tentent de l'allonger sur la table mais l'homme se débat. Il semble être d'une force redoutable, malgré son corps en lambeaux. Je me demande sincèrement comment cela est possible.

- Arrête de bouger, démon ! Bloquez-le ! Tenez-lui les pieds !  Arrggg !

C'est la pagaille ici. Personne n'arrive à maintenir le malade en place, si bien qu'il est arrivé à mordre Mabrouk à l'avant-bras.

Schouinnggg ! Quelqu'un vient de lui trancher la tête. Et elle a sauté de l'autre côté de la pièce, laissant son corps tomber telle une marionnette inanimée. Tout le monde est resté figé regardant cette tête ronde rebondir et rouler à quelques mètres de nous. Puis, dans un silence de plomb, sa bouche s'est mise à claquer, d'un son strident et horripilant. Nous nous observons tous, décontenancés, un peu comme pour demander à l'un d'entre nous d'agir. Mabrouk arrache alors la machette des mains du coupeur de tête puis se jette sur celle-ci et la tranche à plusieurs reprises, lui éclatant la cervelle.

- Le démon ! Je vous avais prévenu. Le démon est parmi nous !

- Mabrouk ! Calmez-vous mon ami. Et montrez-moi votre bras.

C'est que le type ne l'a vraiment pas loupé. Et Mabrouk n'avait pas tord. Ce type voulait bel et bien les manger. Car c'est tout un morceau de chair qu'il lui a arraché du bras. La cicatrisation risque d'être longue et je ne suis pas sûre que Mabrouk pourra retrouver toute sa force, le muscle étant bien entamé.

- Je vais vous refermer le bras, cher Mabrouk. Mais cela risque de piquer légèrement si vous me comprenez.

- Je vous remercie Madame Austin. Quand j'ai vu ses dents claquées, vous savez, j'ai eu très peur.

- Moi aussi, je dois bien reconnaitre qu'il m'a faite paniquer.

Je m'adresse alors aux autres membres du groupe. Je voudrais qu'ils m'aident à mettre le corps et sa tête dans un sac mortuaire mais si c'est un virus qui a mis cet homme dans cet état, autant qu'il ne se propage pas. Alors je demanderai à Maria de m'épauler. Entre professionnelles, nous savons comment agir dans pareille situation.

- Merci pour votre aide messieurs. Je vais m'occuper de soigner Mabrouk, peut-être devriez-vous rentrer au village maintenant.

Le groupe se disperse sans demander son reste. Je crois qu'ils seront autant marqués que moi par cette histoire. Mais pas le temps de rêvasser car Mabrouk a grandement besoin de soins.

- Mabrouk, asseyez-vous là, je vais vous administrer quelques premiers secours prioritaires.

La plaie n'est vraiment pas belle. Tout autour, la peau a déjà commencé à se ternir. Je ne sais pour quelle raison, mais malgré la couleur naturellement sombre de sa peau, on distingue clairement une zone plus contrastée, comme déjà asséchée et… pourrie. Oui voilà, c'est cela même, la partie autour de la plaie semble se décomposer.

J'attrape rapidement un puissant désinfectant.

- Serrez fort les dents jeune homme, ça risque de picoter un peu.

- Aïe !

- Je ne vous ai pas fait plus mal que ça ?

- C'est vrai que ca picote, Madame. Mais j'ai connu pire.

C'est étrange. Il aurait dû hurler de douleur. Le désinfectant n'est rien d'autre qu'un alcool à quatre vingt dix degrés. Mais non, il reste quasiment insensible. Je me décide à regarder de plus près et à ce que je vois, je dirais que la chaire au niveau de la morsure est déjà morte. J'en coupe un morceau à l'aide d'un scalpel, puis le mets de côté dans un flacon. Je voudrais pouvoir le conserver en l'état aussi longtemps que possible.

Je suis un peu surprise. La plaie continue de saigner légèrement mais Mabrouk ne semble pas en souffrir. Pourtant, je ne compte pas le laisser comme ça et le refermer va me prendre une éternité, vu la taille de la blessure.

- Mabrouk, je vais aller chercher Maria afin qu'elle puisse m'aider à vous soigner. Vous refermer le bras sera long et j'aurai besoin d'un peu de support. Attendez-moi quelques instants si vous le voulez bien. Allongez-vous ici sur la table d'opération et attendez mon retour.

C'est que je souhaiterais également prendre quelques outils supplémentaires dans ma chambre. De quoi envoyer des échantillons à Paris. Ici je ne suis pas suffisamment bien équipée pour les analyser. Je ressors du laboratoire et me rends en direction des appartements.

- Maria ? Maria ? Où êtes-vous ?

- Juste là Madame Austin.

- Ahhhhh ! Vous m'avez faite une de ces peurs... J'aurais besoin de votre aide si le pouviez. Mabrouk a été blessé, il faudrait de recoudre.

- Bien sûr Madame.

- Très bien. Suivez-moi dans ma chambre et aidez-moi à transporter quelques affaires.

Nous prenons tout ce qui peut m'être utile. La plupart des boites à échantillons sont hautement protégées. Une fois scellées, impossible de les ouvrir sans les clés adéquates. C'est que les saloperies que l'on y met à l'intérieur peuvent être particulièrement dangereuses. Le virus Ebola est de niveau V selon la classification de Baltimore, c'est dire sa nocivité. Alors les boites en ma possession ici seront parfaites pour y préserver quelques échantillons du possédé.

- Allez Maria, on y retourne. Mabrouk est souffrant.

De retour au labo, Mabrouk est toujours là, allongé sur la table. Alors que je m'approche, je distingue que son bras a grandement changé. La partie pourrie autour de la plaie a grandement progressé et c'est dorénavant le bras tout entier qui semble atteint. Mon plan se complique. Moi qui me demandais comment j'allais bien pouvoir le refermer vu la partie importante de chair et de peau manquante, j'en suis arrivée à me demander si je ne vais pas être obligée de sectionner le bras avant que les choses n'empirent.

- Mabrouk, vous m'entendez ?

- Oui Madame. Je suis bien là.

- Malheureusement, la blessure s'est gangrenée et… j'ai bien peur qu'il faille vous amputer le bras. M'autorisez-vous à le faire si nécessaire ?

- C'est vous le docteur, non ? Si vous le dites, alors vous le faites. Mais je ne suis pas certain de vouloir  qu'on me coupe… Vous me comprenez ?

- Oui, je vous comprends tout à fait, mais j'ai l'impression que la blessure est bien plus grave qu'il n'y paraissait. Alors… Faisons quelques tests d'abord. Si votre bras réagit bien, nous le conserverons. Si au contraire, je le sens condamné, nous devrons trancher.

- Le docteur sait, il décide…

Il prend l'annonce avec beaucoup de courage. En général, les gens paniquent lorsqu'ils apprennent la mauvaise nouvelle.

Je commence à lui installer le détecteur cardiaque. Je voudrais savoir comment son pouls réagit. Si je dois l'amputer, cela risque d'être une opération difficile. Il pourrait même y passer. Nous ne sommes pas suffisamment bien équipés pour ça.

J'observe d'avantage l'évolution de la plaie. La pourriture semble avoir recouvert la quasi-totalité du bras. Je ne sais si c'est superficiel, en surface seulement, ou bien si la gangrène est profonde jusqu'à l'os.

Je le coupe alors à l'aide du scalpel. Il ne ressent rien. Puis je le pénètre encore un peu plus dans sa chaire. Toujours rien. N'importe qui aurait crié avec ce genre d'acte. Mais le bras de Mabrouk semble malheureusement déjà mort. Et j'ai l'impression qu'il va falloir faire vite si l'on ne veut pas que la tête y passe. La pourriture a déjà atteint le début de l'épaule. J'ai bien peur que les choses soient compromises.

- Maria, passez-moi la scie. Il va falloir amputer. Et injectez-lui cinquante ml de sédatif. Mabrouk va en avoir besoin.

J'inspire à fond et me prépare au pire. Je déteste ça, les amputations.

- Je suis désolée Mabrouk, mais cela me parait beaucoup plus sérieux de vous amputer le bras maintenant. Si nous trainons d'avantage, c'est…

- Allez-y Madame Austin. Vous savez que j'ai confiance en vous. Si vous me soignez aussi bien que vous soignez les gens du camp, alors je vous devrai la vie.

Le sédatif injecté, je me prépare à lui entailler le bras. Il faudrait que je taille juste avant la rotule de l'épaule. De cette façon, il pourrait encore la faire pivoter.

Allez, à trois, je me lance. Un, deux… Biiiiiiiiippppppppppp. On a perdu son rythme cardiaque !

- Signal plat Madame. Que fait-on ?

- Marbouk ! Mabrouk ! Répondez-moi.

Je lui tape sur les joues pour tenter de le réveiller tant bien que mal mais rien n'y fait.

- Vite le défibrillateur !  Allez-y, chargez-le Maria. Et passez-le-moi.

J'agrippe les deux poignées de l'appareil et les frictionne l'une à l'autre.

- Enlevez-lui son T-Shirt, vite ! Allez Mabrouk, ne partez pas tout de suite. On va vous réveiller. Attention, reculez Maria, j'y vais.

Trouuuuufff ! Aucun effet.

- Allez, on recharge. Et on retente l'opération. Reculez bien Maria ou vous allez recevoir une décharge. Un, deux, trois !

Trouuuuuffff ! Toujours rien, signal plat.

- On recharge Maria, rechargez ! Encore un essai Mabrouk. Je vais te réveiller, moi. Tu vas voir ! Un, deux et trois !

Trouuuuuuufff ! Rien. Décidément rien. Toujours le même signal plat. Nous avons échoué à le ramener.

- Et merde ! Poufff... Heure du décès, deux heures et cinquante quatre minutes.

Je suis dégoutée ! Pour ma dernière nuit ici, je ne m'attendais certainement pas à passer une telle soirée.

- Maria... Je… Je vais ranger la salle. Ramenez-moi juste un sac mortuaire qu'on y mette son corps.

- Très bien Madame. Je reviens de suite.

Un coup au moral de plus. Décidemment, ce n'est pas mon jour. C'est que je l'aimais bien Mabrouk. Toujours très serviable, toujours disponible. Il était bien plus qu'un simple gardien. Je ne parlerais pas d'amitié, car nous avions bien peu de choses en commun finalement, mais il disposait d'une telle générosité qu'il était apprécié de tout le monde ici. Il va nous manquer.

Je m'assois de dépit sur l'une des petites chaises de la pièce et commence à regrouper les différents éléments que nous avions préparés pour l'opération. C'est que le matériel doit être toujours prêt. Un malade peut arriver à n'importe quel instant.

- Groooonnnnnnn…

Dans mon dos, un souffle. Ou alors un ronflement. Est-ce lui ? Est-il finalement revenu ? Alors nous aurions réussi ? Je me retourne le sourire aux lèvres, ravie de retrouver Mabrouk, mais le bip ininterrompu depuis quelques instants déjà me rappelle à l'ordre.

Mabrouk est toujours allongé. Il bouge la tête et les bras, et commence même à vouloir se redresser mais le signal sur l'écran de l'encéphalogramme est toujours aussi plat alors que les détecteurs sont bien implantés sur son bras gauche. Il y a quelque chose de complètement irrationnel là derrière. Mais tout aussi logique. En effet, Mabrouk ressemble au macchabée précédent, au démon qu'on nous a ramené et qui l'a mordu. Mabrouk est mort mais il bouge bel et bien et la façon dont il se tourne vers moi me fait penser qu'il me mangerait s'il le pouvait.

- Voilà le sac Madame.

- Repartez Maria ! Repartez tout de suite et allez chercher du renfort au plus vite ! Foncez !

Je ne suis pas sûre qu'elle ait bien compris la gravité et l'urgence de la situation, mais c'est plus sûr ainsi.

Boum ! En voulant sortir de la table d'opération, il s'est vautré par terre. Ses jambes ne semblent pas très à l'aise. Se mouvoir lui est difficile. Mais il se relève. Alors je me rue de l'autre côté de la pièce. Je ne veux pas qu'il me morde. J'ai vu le résultat d'une morsure. Non merci, je ne suis pas cliente.

- Grooonnnnnnnnnn !

J'ai bien peur qu'il m'ait prise pour cible. Si je ne déguerpi pas d'ici, il va me sauter dessus. Mais si je fuis, alors il s'en prendra à Maria ou à la première personne qu'il trouvera sur son chemin. Et ce sera un éternel recommencement jusqu'à ce que nous soyons tous transformés en mort-vif. Hors de question. Je dois le stopper, l'empêcher de nuire. Je ne veux pas d'une victime de plus ce soir.

Je tourne autour de la table d'opération à la recherche d'une solution. Il est tout proche maintenant mais il a bien du mal à contourner l'obstacle. Alors il tend ses bras et tente de forcer le passage.

Chbinnng ! Et voilà qu'il se vautre à nouveau en basculant par-dessus la petite table.

C'est le moment idéal. Une fois à terre, il est à ma merci. Je pourrais l'empêcher de nuire si seulement j'avais de quoi….

La machette ! Il me faut cette machette que je lui explose le crâne à mon tour. Cela a fonctionné avec l'autre gugus, cela fonctionnera avec lui.

- Satanée machette, où te caches-tu ?

Pourvu qu'ils ne soient pas repartis avec. Je regarde un peu partout et… La voilà, sur une petite armoire. Je me jette dessus puis me retourne aussitôt.

Schouinnnng ! Alors que Mabrouk tente de se relever, je lui fends le crâne en deux. Il s'écroule illico. D'une efficacité redoutable.

- Ahhhhh !

- Calmez-vous Maria. Calmez-vous s'il vous plaît. Et laissez-moi reprendre mon souffle quelques instants.

- Mais, Madame… Vous venez de tuer Mabrouk ? Enfin, je croyais qu'il était déjà mort ?

- Vous avez doublement raison Maria. Il était bien mort mais… Enfin, c'est compliqué, j'ai moi-même du mal à tout saisir. Qu'importe. Vous allez m'aider à l'enfermer dans un sac mortuaire. Et dites à cet homme de retourner à son poste et de bien ouvrir l'œil. D'autres comme le démon pourraient arriver.

Poufff… Dieu que c'est éprouvant.

Avant de le confiner dans le sac, je prends le temps de découper quelques morceaux de chaires, de peau et de cervelles ainsi que d'extirper un échantillon de sang. Dès demain, je tenterai d'envoyer tout ceci à Paris, dans un labo plus complet que le mien pour analyses.

Nous stockons les deux cadavres dans une tente séparée avec l'interdiction formelle d'y entrer. Ils devront être brulés à la première heure. C'est le meilleur moyen d'annihiler le danger qu'ils représentent.

- Maria, faites-vous une toilette complète et désinfectez-vous. Puis mettez vos vêtements dans un sac hermétiques à bruler également.

- Bien Madame.

Je retourne dans ma chambre puis décide de me nettoyer à mon tour. Après tout, j'ai été au contact des deux spécimens et peut-être bien qu'ils m'ont contaminée. Même si pour l'instant, je n'ai aucune idée de ce qui a eu Mabrouk, je ne peux m'empêcher de penser à une nouvelle souche d'Ebola.

Je stérilise tout ce que je peux, puis je désinfecte mes blouses, gants et outils.

Mais je veux savoir. Que s'est-il passé ce soir ? Pourquoi ces deux hommes morts se sont-ils relevés ? Et que cherchent-ils ? Quel instinct les guide donc ?

Trop de questions sans réponses pour ce soir. Impossible de dormir après ça. Je saute sur mon téléphone.

- Allô ? Claire ?

- Oui, c'est encore moi Peter. Je suis désolée de te déranger au milieu de la nuit, mais j'aurais… Enfin, j'ai des échantillons à t'envoyer. Pourrais-tu les faire analyser au plus vite ? Dès que tu les recevras ?

- Oui, oui bien sûr. Mais c'est pour ça que tu m'appelles à cette heure ci. Suit la procédure et il n'y aura pas de soucis.

- Non, justement Peter. Je ne veux pas suivre la procédure. Cette fois-ci, c'est différent. Ces échantillons viennent de patients atteints d'une maladie que je n'avais jamais vue jusque là. Alors, je voudrais savoir. Est-ce une évolution d'Ebola ? Ou autre chose ?

- Qu'est-ce que tu entends par différent ? Quels sont les symptômes ?

- Et bien, les patients décédés se… Comment dire ?

- Que font-ils ces patients ?

- Tu ne vas pas me croire Peter. Tu vas me prendre pour une folle.

- Accouche Claire. Tu ne m'as pas appelé pour le garder pour toi, n'est-ce pas ?

- Ils se relèvent Peter. Ils reviennent à la vie mais ils sont toujours morts.

- Qu'est-ce que c'est que ces balivernes ? A quoi joues-tu ? Tu n'es pas contente que je t'ai débarquée du camp alors tu cries au loup pour rester ?

- Peter, j'ai passé l'âge de ces enfantillages, des caprices et des histoires à dormir debout. Je ne te demande pas de me garder en poste. Jean-Michel me remplacera. C'est dit. Mais je voudrais que tu t'occupes personnellement de ces échantillons. S'il te plaît Peter. Peut-être n'est-ce qu'un cas isolé et auquel cas tout rentrera dans l'ordre. Peut-être n'est-ce qu'une nouvelle forme de filovirus ? Mais si ce n'est pas le cas, ce que j'ai vu ce soir pourrait être bien pire qu'Ebola, crois-moi.

- Ok, c'est compris Claire. J'y veillerai personnellement à tes échantillons, tu peux me faire confiance. Et je te dirai ce que c'est dès que j'en aurai les résultats. Mais toi, tu rentres bien demain, non ?

- Pas tout à fait. Je voudrais remonter la piste. Je prends quelques jours pour voir où elle me mène. Si je la perds, je rentre. Promis juré.

- Accordé. Mais quelques jours seulement alors. Puis tu reviens.

- C'est compris. Merci Peter. Et bonne fin de nuit.

- Oui, bonne nuit à toi également.

Je suis aussi excitée qu'effrayée. Ce que j'ai découvert ce soir est si alarmant. Mabrouk n'aura pas survécu plus de vingt minutes après la morsure et ce qu'il est devenu est abominable. Qu'arriverait-il si un homme dans son état était lancé au milieu d'une foule. Pas ici en pleine brousse, mais dans un centre commercial, un samedi de grande affluence. Un, puis rapidement deux, trois, dix. Puis vingt, cinquante, cent, cinq cent… La progression serait si fulgurante. Personne ne pourrait l'arrêter.

Demain, je me rends  au village de Mabrouk. Peut-être que les habitants m'en apprendront un peu plus. A moins que… L'un des hommes a été mordu au village. Un certain Maloumbé. Et zut. Pas le temps d'attendre à demain.

Je m'habille au plus vite après quoi je fonce réveiller Maria. Et tant pis pour sa soirée tisane.

- Maria, Maria ! C'est moi, c'est Claire. Ouvrez la porte s'il vous plaît.

- J'arrive… Que se passe-t-il Madame ?

- Habillez-vous et protégez-vous bien. On prend la Jeep. On doit se rendre au village. Je vais chercher l'un des gardes.

Je cours devant les tentes et me rue au poste de garde. Les trois gardiens y jouent aux cartes comme toutes les nuits.

- Amada, venez avec moi. Nous prenons la Jeep. Vous avez toujours votre couteau avec vous ?

- Oui, toujours sur moi Madame. Dans la brousse, c'est pratique.

- C'est parfait.

Je retourne au laboratoire récupérer la machette. Si le pire est arrivé sur place, il vaut mieux être équipé. Puis de retour dans la cours où Amada a démarré la voiture,  Maria nous rejoint.

- En avant, au village. Faites vite.

J'ai tellement peur de ce qu'il a pu arriver là-bas. Et si mon scénario catastrophe s'était produit ? Et si tout le village n'était plus rempli que de mort-vifs ? Un immense frisson me traverse le dos. Peut-être est-il trop risqué de s'y rendre ? Qui plus est en peine nuit ? Mais qu'importe, peut-être est-il également possible de sauver ces gens d'un immense malheur. Alors, autant tenter le tout pour le tout.

La route n'est pas très bonne. La chaussée est des plus déformées mais le village ne se trouve qu'à quinze minutes du camp.

Et je constate que nous y arrivons rapidement grâce à cet immense feu qui éclaire la nuit. Que peut-il bien s'y passer ? Il est plutôt rare que les habitants du village y allument un feu pendant la nuit. C'est que le bois est rare, et ils ont appris à ne l'utiliser qu'en d'importantes occasions.

- Dirigez-vous vers ce feu Amada.

- Bien Madame.

La voiture bondit et rebondit encore dans les nids de poules qui jonchent la route puis nous arrivons enfin au milieu du village, où l'ensemble des habitants semble s'être donné rendez-vous.

Je descends rapidement de l'auto. Je veux savoir. Car à l'odeur de cochon brulé qui accompagne les flammes du bucher, je ne nécessite pas bien longtemps pour en conclure qu'ils sont en train de bruler quelqu'un.

- Amada, suivez-moi et ne me lâchez surtout pas. Maria, prenez le volant et attendez-nous. Ne coupez pas le moteur. Préparez-vous à déguerpir en trombe si les choses tournent mal.

C'est que je les connais bien les habitants de ces villages. Ils sont persuadés que nous avons apporté Ebola, que le virus est en nous et que nous leur transmettons. Alors, s'ils ont trouvé un mort-vif, j'ai bien du mal à penser que je ne serai pas responsable de tous leurs maux.

J'interpelle une femme à l'entrée du groupe, mais plusieurs individus m'encerclent rapidement.

- C'est le démon que vous avez amené chez nous !

- Expliquez-moi. Quel démon ?

- Maloumbé a été attaqué par le démon. Le démon n'était pas l'un des nôtres. C'est vous qui l'avez amené !

Indéniablement, cette femme n'est pas prête à discuter et l'intriguant Maloumbé s'est bien transformé en mort-vif. Mais je veux en avoir le cœur net, et pour cela je dois m'approcher du brasier.

- Venez Amada. Ouvrez la voie s'il vous plaît.

Je suis Amada qui écarte la foule, couteau à la main, puis nous arrivons finalement devant le bucher où quatre silhouettes brulent de concert. La plus grande d'entre elles est très certainement ce fameux Maloumbé. Par contre, les deux plus petites doivent être des enfants. Quand à la dernière, peut-être est-ce sa femme. Peut-être ont-ils brulé la famille toute entière ? Les avait-il tous mordus ? Ou bien est-ce une punition collective ? Peut-être ne devrais-je pas chercher à le savoir. Après tout, ce qui m'importe, ce sont les mordus. Y a-t-il d'autres mordus dans le village ?

- Amada. Essayons de nous approcher du chef du village.

- Inutile Madame, c'est lui qui vient à nous.

Effectivement, et il est en bonne garde. J'espère qu'Amada n'aura à pas se battre.

- Ce sont les démons ! Les démons que vous avez apportés avec vous !

Je connais le refrain… Mais cela ne m'en dit pas plus sur les potentiels mordus.

- Que s'est-il passé, chef Mahaki ? Explique-moi. Dites-moi.

- Maloumbé a été touché par le démon ! Alors le démon est entré en lui et l'a possédé. Maloubé n'était plus Maloumbé ! Le démon qui le contrôlait a attaqué sa propre femme alors qu'elle prenait soin de lui. Mais nous l'avions prévenue. Personne ne peut vous sauver du démon. Alors le démon l'a mangée !

- Et pour les enfants ?

- Le démon est entré dans cette famille. Seules les flammes peuvent purifier du démon. Car il est trop vilain. Trop sournois. Il commence par une famille puis c'est le village tout entier qu'il fini par posséder.

Mes craintes étaient fondées. Les enfants n'ont été que des victimes collatérales. C'est horrible.

- D'autres personnes ont-elles été mordues ? Je dois savoir. Dites le moi.

- Le démon était dans cette famille. Il les a choisis. Il les a infiltrés. Il se servait d'eux pour faire entrer le mal dans ce village. Mais vous savez tout ça car c'est vous qui avez amené le démon.

- Je suis médecin, je soigne les gens. Je ne les tue pas…

Bah… Inutile de discuter avec eux plus longtemps.

- Hey ! Lâchez mon bras !

Voilà, les choses vont commencer à dégénérer. La foule s'agite. Ils me prennent à parti. Bientôt, ils chercheront un bouc émissaire, afin que quelqu'un paye, et je serai la coupable idéale. Bref, il est temps de déguerpir.

- Amada, allons-y. J'ai vu ce que je voulais voir.

Nous traçons notre chemin à travers la foule sous les regards culpabilisants des habitants. La tension est plus que palpable. L'envie de me sauter dessus et de me jeter au bucher suinte de tous leurs membres. Leurs doigts sont tellement crispés, leurs mâchoires tellement serrées, qu'une simple étincelle pourrait me projeter dans les flammes. Je m'agrippe à Amada, et le pousse à avancer plus rapidement dans la foule. Il nous faut sortir d'ici avant que le pire ne se produise.

Poufff, je respire… Ils ne seront finalement pas passés à l'acte et je ne vais pas m'en plaindre.

- Allez Maria, foncez. Je ne veux pas rester une seconde de plus ici.

- Bien madame Austin.

Nous quittons expressément les lieux. Je suis finalement plutôt rassurée par ce que je viens de voir. Certes, la mort de cette famille n'a rien de réjouissant, mais savoir qu'il n'y a plus de traces de mort-vifs me permet de repartir l'esprit serein. Au moins, cette souche a été nettoyée.

- Vous savez Madame, s'ils nous ont laissés partir, c'est grâce à Mabrouk. Il vous appréciait beaucoup. Il leur disait toujours le plus grand bien de vous. C'est à lui que vous devez la vie sauve ce soir.

- Alors inutile de salir sa mémoire, Amada. Ne divulguez pas la fin tragique à laquelle il a dû faire face.

Mais tout ceci ne me dit rien de plus sur les origines de ce mal. L'homme n'était pas originaire du village. Alors d'où venait-il ? Et combien de temps a-t-il bien pu errer à travers brousse avant d'arriver ici ? Qui sait combien de gens il a bien pu mordre pendant son trajet ?

Toutes ces questions m'inquiètent d'avantage. Et je déteste les questions sans réponses. Il doit bien y avoir un indice quelque part ?

- Dites-moi Amada. Vous étiez là dans la cours quand je suis arrivée tout à l'heure. Vous mainteniez l'homme au sol. Celui avec le sac sur la tête. Que savez-vous de lui ? A-t-il parlé ?

- Le démon n'a pas parlé pas Madame. On ne le connaissait pas. Personne ne l'avait jamais vu. Même ses vêtements ne sont pas d'ici.

- Et arrête de l'appeler le démon s'il te plaît. Il n'y a pas de démons, de vilains, ou de possédés. Il n'y a que des gens atteints de pathologie… Des malades, quoi ! Vous me rendez folle avec vos croyances d'un autre âge…

- Mais… Les démons existent Madame Austin. Je les ai vus… Et vous les avez vus, vous aussi.

- Excuse-moi Amada. Ce sont les nerfs qui lâchent. Je me suis emportée à tort. Reprenons si tu le veux bien. Donc, cet homme, tu ne l'avais jamais vu, tout comme sa tenue. Qu'a-t-elle de si particulier cette tenue ?

- C'est un travailleur. Il ressemble à un travailleur des usines comme sur les images.

Intriguant. Le plus simple reste encore que je vérifie tout ceci sur son cadavre en arrivant.

- Une dernière chose Amada. Il venait de quelle direction, cet homme ?

- Ils ont dit qu'il marchait sur de la route de l'eau, c'est celle de l'est Madame.

Je reste plongée dans mes pensées pendant les dernières minutes du trajet. Maria ne s'en sort finalement pas si mal au volant, je sens à peine les trous de la chaussée. Comme quoi, femme au volant…

Nous voilà enfin de retour. Avant de retirer tout mon barda, je souhaite aller fouiller la dépouille du type inconnu. Peut-être aura-t-il des informations sur lui ?

Je rentre dans la tente que nous avons dédiée aux cadavres des deux mort-vifs. Demain, nous les brulerons. J'en vérifierai moi-même la bonne exécution. Mais dans l'immédiat, c'est la peur au ventre que je progresse à petits pas dans l'enceinte de la tente. Et s'ils se relevaient de nouveau ? Après tout, s'ils ont pu le faire une fois, pourquoi ne recommenceraient-ils pas ?

J'observe les sacs avec une attention toute particulière. Si le sac bouge, c'est que le mort à l'intérieur remue. Ils sont au nombre de trois. Sur la gauche, celui de Mabrouk. A sa droite, le corps de l'homme inconnu, et juste à côté, dans un sac pour enfant, nous avons glissé sa tête. Mais rien ne bouge. Peut-être sont-ils définitivement morts ? Enfin…

Avant d'ouvrir le sac, je lui tape du pied pour voir s'il réagit. Toujours rien. J'agrippe fortement la machette. C'est psychologique. Ce corps n'ayant plus de tête, il ne devrait être qu'inoffensif. Mais bon, cela me rassure.

De l'autre main, je tire la fermeture éclaire du sac. Le corps est totalement inanimé. Il me semble qu'il n'y a plus rien à craindre finalement.

Alors, ces vêtements, qu'ont-ils de si spécial ? C'est vrai qu'ils ressemblent plus à une tenue qu'à des vêtements du quotidien. Ils sont relativement épais d'ailleurs, comme pour protéger le porteur. Mais le plus intéressant, ce sont les inscriptions brodées sur le torse : Sichuan Shenhong Chemical Industry Co. Ltd.

Soit cet homme a acheté ces fringues au marché aux puces du coin, soit il travaille pour cette firme. En tout cas, j'ai ma première piste. Mais je ne m'arrête pas là. Ce n'est pas très beau, mais je crois bien que je vais lui faire les poches.

En fouillant les poches intérieures de sa veste, je retrouve une carte d'accès, avec la photo de l'homme, son nom, Yaté Makoun, et le même nom de société. En son dos s'y trouve également une adresse… au Nigéria. Eh bien, il en aura fait du voyage notre démon.

Cette fois, j'y suis. J'ai enfin une piste à remonter.

Je retourne alors dans ma chambre et rassemble mes affaires. Je veux être prête pour partir à la première heure, juste après la crémation des corps. Je prends la peine de noter tout ceci sur mon portable, dans les moindres détails, puis je l'envoie par mail à Peter. Qui sait ce que je vais trouver là-bas. S'il m'arrivait malheur, autant que quelqu'un soit au courant de tout car il ne s'agit pas tant de moi que de santé publique.

Et alors que je m'allonge pour me reposer un tantinet, je n'ai de cesse de repenser encore et encore à ce que j'ai vu ce soir. Mort et vif à la fois, comment est-ce possible ?

Fin du Tome I

6 août 2014

Mort et Vif - Tome I - Chapitre 36

Je meurs de froid. Malgré le fait qu'il n'y ait plus de courant dans cette pièce depuis un long moment, malgré les bombardements, la température ne s'est pas relevée d'un iota. Et je me les gèle comme jamais. Il me faut sortir d'ici. Si je ne bouge pas, je vais finir comme les ingrédients qui s'entassent dans cette pièce : congelée !

Allez, c'est très certainement le froid qui m'endort également. Il m'enlise dans l'attentisme. Et patienter est mon pire ennemi.

- Remue-toi Marlène ! Arrrrrr !

Voilà, c'est ça. Crier un bon coup pour se réveiller, rallumer la machine, être opérationnelle à nouveau. Et ouvrir cette porte... Mais que vais-je y découvrir de l'autre côté ? Les bombes ont-elles amené le carnage appréhendé ? Et vais-je pouvoir sortir du bâtiment ? Et si je suis encerclée par les flammes, que ferai-je ? Malheureusement, il n'y a qu'une seule façon de le savoir...

Je voudrais récupérer mon arme mais dans le noir, je n'ose tâtonner le sol de ma main. Si jamais l'un de ces mort-vifs en profitait pour me la mordre ? Baaaah ! Ca me fait froid dans le dos rien que d'y penser. Je sais bien qu'ils ne représentent plus aucun danger, mais la phobie reste. Non, je préfère me rapprocher de la porte en me déplaçant le long des étagères puis je l'entrouvre en appuyant sur sa grande poignée métallique horizontale, et grâce à la lumière qui s'infiltre aussitôt, en profite pour ramasser mon Famas. Je sais son chargeur vide, mais c'est psychologique. Je me sens tellement plus forte quand je le tiens. Il devient le prolongement qu'il me manque, le membre que la nature ne m'a pas donnée et qui m'aurait tant servie dans les moments difficiles. Et je n'y vois rien de sexuel... Une arme, ou rien d'autre que le symbole de la force à l'état brut.

Brrrrooooouuuu... J'en tremblote. Est-ce son métal glacé qui me fait frissonner ou bien le fait de penser à tout ce qu'elle m'apporte ? Bah... Plus le temps de penser à ce genre de choses. Je dois reprendre ma route.

- Allez, en avant Marlène.

J'inspire une grande bouffée d'air puis pousse la porte du bout du canon de l'arme. Je me tiens prête à toute éventualité.

Grouuuuiiiinnnnnn. La porte grince fortement. Certainement l'effet de la chaleur. Une fois complètement ouverte, elle laisse pénétrer un immense nuage de poussières sombres accompagné d'une vague de chaleur suffocante. J'en tousse tellement j'en suis submergée. Puis l'effet se diffuse petit à petit et me permet d'entrevoir la cuisine du restaurant. Tout y est recouvert d'un léger voile de cendres. Quelques flammes du côté de la cour extérieure sont parvenues à pénétrer par les issues mais les lieux n'ont pas complètement pris feu.

Je n'ai décidemment plus rien à faire ici. Alors, après m'avoir couverte le nez et la bouche d'un chiffon, je commence à quitter la pièce puis me rends dans la salle principale. Le napalm s'est bien infiltré par la devanture du restaurant. Par contre, les mort-vifs qui y étaient scotchés ne sont plus que des grillades restées trop longtemps sur un barbecue. Le napalm ne les aura pas loupés.

Je ressorts par l'une des baies vitrées car les portes continuent de se consumer. Un premier coup d'œil à l'extérieur et... Désespérément rien. Je ne reconnais rien du tout. Il n'y a pas la moindre silhouette de mort-vifs se tortillant au milieu de la voie. La rue est déserte de toute vie. Même les voitures ont quasiment disparues. Non pas qu'elles se soient volatilisées, mais elles ont comme fondu sur place. Leurs pneus continuent de bruler et de dégager une épaisse fumée toxique noire. Et plus je sors du bâtiment, plus je m'expose au milieu de la rue et plus elle se dévoile à moi, complètement calcinée. Il n'en reste qu'un tas de charbon. Rien d'autre. Même les murs ont souffert.

L'horreur à un nom, elle s'appelle Aberdeen. Elle y possède aussi une couleur, le gris ; gris comme cette brume de poussière, gris comme ces devantures carbonisées, gris comme cette épaisse couche de cendres. Gris comme celui de la lune… Je me sens si seule. Et une odeur, âpre, associée à une fumée dense qui vous assèche la gorge. Non, décidemment, Je ne reconnais plus ma ville.

J'entreprends mes premiers pas dans cette nouvelle configuration. Une ère dénudée de monstres, de gens, de sons, de tout. Seul mon souffle vient rythmer le son de mes pas. Car si le danger a semble-t-il disparu, l'air, lui, est difficilement respirable.

Mais qu'importe. Je n'ai finalement jamais progressé dans les rues de cette ville aussi aisément. Avant, les foules de gens me gênaient. Ensuite, ce fut le tour des mort-vifs. Mais dorénavant, plus personne ne vient se mettre en travers de mon chemin. Et je commence presque à la regretter.

Les repères ne sont pas légion maintenant que tout a brulé et j'ai bien du mal à retrouver le chemin du port. Quelques bâtiments, malgré les bombardements, restent identifiables, de part leur taille impressionnante ou leurs détails uniques, comme la tour de la gare et son horloge. Elle s'est arrêtée à 5 heures et 46 minutes. C'est certainement un peu après qu'elle ait été touchée. Le temps que le napalm fasse son effet, pas plus que quelques minutes, avant de tomber en rade.

Mais fort heureusement qu'elle est là, car de ce point, je sais me rendre au port. Plus qu'à descendre cette longue avenue et dans à peine un quart d'heure, j'y serai.

Cette avenue ressemble tant aux autres rues de la ville. Aberdeen a définitivement sombré. Il faudra bientôt la rayer de la carte.

En son bout, une éclaircie. A moins que cela ne soit qu'une hallucination. Ca ne serait pas surprenant. Mais j'ai envie d'y croire. J'aperçois le port, ses devantures colorées et un rayon de soleil venant les réchauffer. Que j'ai hâte d'y être. Alors je me mets à courir. Au risque de m'exposer à un inéluctable mort-vif. Tant pis. Ce n'est pas une vie de subir ça.

Mon dieu qu'il est beau ce port. Avant, je le trouvais hideux, mais aujourd'hui, il est ce qu'il y a de plus magnifique en ville.

J'observe les pancartes de direction à son entrée. Le port de marchandise est sur la droite. Si des chalutiers accostent, c'est très certainement là-bas.

- Oh Chris, Maman arrive !

Je continue de courir à en perdre haleine. Je sens que je n'ai jamais été aussi proche de lui. Et effectivement, après quelques mètres seulement, j'aperçois du somment d'une interminable rampe, un énorme bateau, une passerelle et des gens positionnés juste à son entrée. Et les armes qu'ils portent en bandoulière me font penser qu'ils n'ont rien de mort-vifs.

- Attendez-moi ! Je vous en prie ! Ne partez pas sans moi ! Attendez !

Je cours comme une dératée. Et s'ils avaient la mauvaise idée de quitter les lieux maintenant, sous mes yeux ? Je n'ose pas y penser.

- Attendez-moi ! J'arrive. S'il vous plaît attendez !

Puis après quelques instants, j'arrive complètement exténuée devant eux.

- Ne criez pas comme ça. Vous risquez de les attirer.

- C'est que… J'avais peur que vous partiez… Vous…

- Reprenez votre souffle Mademoiselle. On n'est pas aux pièces, vous savez.

- Merci. Pouf… On m'a dit que… Vous emmeniez les gens en sécurité sur les plateformes en mer.

- C'est vrai. Enfin, ça dépend qui. On ne peut pas prendre tout le monde. Les plateformes ne sont pas très grandes.

- Je voudrais vous demander… Avez-vous vu une femme et un enfant en bas âge ? Un gros bébé, d'un peu moins d'un an ?

- C'est possible… Mais c'est difficile à dire. Ils ont pu embarquer dans un autre navire.

- Mais ça ne vous dit rien de plus ?

- Ecoutez, si une femme et un bébé ont embarqué pour les plateformes, il n'y a qu'en allant voir sur place que vous saurez s'ils y sont vraiment.

- Ok, alors, je peux monter ?

- Non.

- Comment ça, "non" ?

- On attend un groupe de survivants. S'il est au complet, il n'y aura plus de place pour vous malheureusement.

- Attendez… Je suis seule. Vous n'êtes pas à une personne près, non ?

- Si.

- Alors, qu'est-ce que je fais ? J'attends ici que les mort-vifs viennent me grignoter ou je m'y rends à la nage ?

- Ce n'est pas mon problème, Mademoiselle. Je suis désolé pour vous mais j'ai reçu des ordres. Des ordres clairs. Précis. Et une place est une place.

- Mais enfin, c'est incroyable. Tout le monde est mort. Nous ne sommes certainement plus que quelques survivants et vous, vous jouez à "j'ai reçu des ordres". C'est débile !

- Peut-être, mais c'est ainsi. Mais ne paniquez pas encore, vous aurez votre réponse bientôt. Je le vois. Il arrive.

Effectivement, au sommet de la même rampe par laquelle je suis arrivée, un petit groupe d'hommes se rapproche et ne met guère de temps à nous rejoindre.

- Alors Stanford ? Vous les avez trouvés ?

- Oui, mais malheureusement, il en manque deux à l'appel. Le capitaine risque de faire la gueule.

- Malheureusement pour eux… Mais heureusement pour vous, Mademoiselle.

Le petit groupe qui n'est autre qu'une famille escortée par un homme surarmé monte alors la passerelle. Est-ce un militaire ? Il n'en a pas vraiment l'air. Est-ce un garde du corps ou quelque chose du genre ? Un mercenaire peut-être, payé pour aller récupérer des survivants ? Ce n'est pas impossible. Mais qu'importe pour le moment. Je n'ai qu'une envie, celle de grimper à bord.

- Alors, je peux y aller à mon tour ?

- Oui, mais elle, elle reste là.

- Qui ça, "elle" ?

- Vote arme… Pas d'arme à bord.

- Pourtant, votre ami Stanford paraissait bien équipé, lui.

- Lui, c'est son métier. Vous, si vous souhaitez grimper, c'est seule.

Je ne discute pas plus longtemps. Cet homme, au timbre de voix aussi monocorde que sec, est froid comme le métal de mon arme. Il sera intransigeant.

- Tenez. Mais prenez-en bien soin. Je tiens à la récupérer en un seul morceau.

- Vous avez un nom ?

- Marlène. Marlène Dell.

- Et une profession ?

- Infirmière.

- Montez Marlène. Et suivez les instructions quand vous arriverez sur le pont.

- Merci. Et au fait, vous, vous avez un nom ?

- On m'appelle Coldy…

- Ah… Je me demande bien pourquoi. Enchanté Coldy.

Il ajoute alors mon nom à une liste sur une feuille de papier.

- Attendez ! Vous avez la liste des passagers ?

- Oui.

- Regardez s'il vous plait. Cherchez Chris… Ou Selma. Je vous en prie, dites-moi s'ils sont là Coldy.

Il prend le temps de regarder. Il prend clairement son temps. Qu'il est lent et mou. Est-ce son tempérament ? Peut-être, mais il me fait suer.

- Non. Pas sur ce bateau.

- Vous êtes sûr de vous ? Regardez encore.

- Oui. Je vous l'ai dit. Mais ils ont pu embarquer sur un autre navire. A moins qu'ils soient morts. Vous savez, beaucoup y sont passés.

- Oui, oui, je sais. Merci de me réconforter.

Non mais quel gros bourrin celui-là. Poufff... Tempère Marlène. Tu es en vie et tu te rends sur les plateformes. Alors rien n'est perdu, bien au contraire. Tu as obtenu ce que tu cherchais après tout.

Avant de grimper la passerelle, je me retourne pour jeter un dernier coup d'œil sur Aberdeen. Ou plutôt ce qu'il en reste. C'est que je l'aimais bien cette ville. Son hôpital, sa gare, son centre très commerçant. Tout ceci va me manquer dorénavant. Mais au diable les regrets. Je n'ai plus qu'un seul objectif dans ce nouveau monde : retrouver mon fils. Et je ferai toutes les plateformes les unes après les autres s'il le faut pour pouvoir le serrer dans mes bras encore une fois.

Soit fort Chris, soit forte Selma. Maman arrive.

7 juillet 2014

Mort et Vif - Tome I - Chapitre 35

Pour ceux qui douteraient de l’efficacité du napalm,  je confirme qu’il n’a pas volé sa réputation. Et il n’a pas non plus menti sur son odeur. Une vapeur nauséabonde de plastique fondu a envahi la ville.

Le spectacle auquel nous faisons face est ahurissant. Le napalm continue de couler et de se consumer le long des façades des bâtiments. Il s’est infiltré au cœur des véhicules abandonnés dans les rues et les a rongés de l’intérieur. Je me demande dans combien de caves il est arrivé à pénétrer et combien de personnes il a bien pu y déloger, ou pire, y bruler vives. Ce produit n’est qu’une saloperie d’arme de plus. Je ne suis pas surpris qu’il ait été inventé par les américains.

C'est dans les années 40, afin de ralentir la combustion du pétrole des bombes incendiaires et des lance-flammes qu’un ingénieur a eu la brillante idée d’y mélanger des sortes de plastiques. Le pétrole très liquide est alors devenu une pate gluante, si bien qu’une fois projetée, elle colle à sa proie et continue de la bruler pendant des heures et des heures. Aussi ignoble qu’efficace pour détruire des quantités industrielles d’ennemis. Et quand je pense que ces braves gens reprochent aux autres de posséder des armes de destructions massives… C’est l’hôpital qui se fout de la charité. D’ailleurs, son utilisation en a été interdite dans les années 80 par les conventions de Genève. C’est dire l’horreur du produit. Alors on peut se poser la question : depuis plus de trente ans, ces bombes étaient-elles rangées au placard, attendant une attaque de mort-vifs ou que sais-je d’exceptionnel ? Mouais… Les conventions de Genève n’ont pas plus de valeur qu’une promesse électorale, indéniablement.

Mais arrêtons un peu ce cynisme bien inutile, car il aura au moins eu un mérite, celui d’être particulièrement puissant. Je dirais même, radical. En effet, nous progressons finalement aisément au milieu des carcasses de voitures et des cadavres de mort-vifs. Plus le moindre bruit de traine-savates. Plus la moindre silhouette ne surgit de l’épaisse brume de cendres. Idéal pour se rendre au port sans ne trop prendre de risques.

Les rues se suivent et se ressemblent. Les hélicoptères auront bel et bien ratissé la ville toute entière, désormais recouverte de braises et de résidus cendrés uniformément. Quelques flammes de ci de là ponctuent notre parcours et nous indiquent le chemin à la façon de feux tricolores. Surprenante similitude.

Juste là, sur notre droite, la gare en contrebas du pont. Nous apercevons les rames des locomotives et wagons, ou plutôt ce qu’il en reste. Leurs structures métalliques n’auront pas dû résister bien longtemps. La gare, ses voies et ses trains ne ressemblent plus qu’à une énorme casse automobile. Rien de plus.

La mère tient la cadence, malgré le poids de l’enfant et la pollution de l’air. Je me retourne régulièrement pour m’assurer qu’ils me suivent et qu’aucun danger ne nous ait pris en chasse. Sait-on jamais. Un irréductible mort-vif pourrait avoir survécu.

Puis enfin, dans un silence de plomb, nous apercevons l’entrée du port. Je n’ai qu’une seule crainte, c’est qu’ils l’aient également bombardé. Enfin, pour être plus précis, qu’ils aient bombardé les bateaux. Car s’il ne reste plus le moindre d’entre eux d’utilisable, nous serons venus pour rien, et pire encore, nous n’aurons plus que nos jambes pour quitter la ville.

Mais mes craintes sont rapidement dissipées. Car plus nous nous approchons et plus je parviens à distinguer des parties saines sur la rade. Un bâtiment qui n’est pas noir de suie est un bâtiment qui n’a pas été bombardé. Voilà tout. Et si ces quelques façades ont été conservées, c’est que le port a dû être tout ou partie épargné.

Tout cela me donne envie de presser le pas.

- Cézanne, le port a l’air d’avoir échappé aux bombes. Pressons-nous un peu si vous le pouvez, je préfèrerais que l’on arrive les premiers pour y dénicher le meilleur bateau.

Car là est l’astuce. Je ne suis certainement pas le seul à avoir pensé à déguerpir par la mer. Alors autant arriver les premiers. Car c’est bien connu ; premiers arrivés, premiers servis.

En arrivant sur place, nous reprenons des couleurs, un peu comme celles du port. Quelques rayons de soleil viennent enjoliver l’espace. Ce serait presque réjouissant. Mais cela me rappelle également que les mort-vifs du quartier ont tout autant été ménagés par les flammes. J’espère qu’ils ne se sont pas tous donnés rendez-vous ici.

Sans réfléchir, je prends sur la gauche en direction du port de plaisance. Il parait que des chalutiers embarquent des gens pour les mettre en sécurité sur les plateformes pétrolières. Quelle erreur ! C’est pourquoi je nous évite le port de marchandises. Des gens amassés sur un bateau, quoi de mieux pour tous finir grignoter par des mort-vifs ? Il n’en suffit qu’un au milieu de tout ce beau-monde pour que la situation dégénère. Je ne prendrai jamais un tel risque. Et puis, les plateformes, je les connais bien. Ceux qui ne mourront pas mordus y mourront de faim. Sans ravitaillement, une plateforme isolée en mer n’est qu’une tombe de métal.

Les espaces se font dorénavant plus petits. Les rues sont devenues des allées où les carcasses de voitures ont été remplacées par des amoncellements de caisses et de petits containers. Derrière chacun d’entre eux peut se trouver un mort-vif. J’avance prudemment. Je ne prends aucun risque.

Un cri. Un peu plus loin, un cri de bébé. Strident, fort, paniqué.

- Vous entendez ?

- Oui, j’entends bien Cézanne.

Ce cri me perturbe. Je m’attendais à tout sauf à ça. Est-il seul ? Et pourquoi ne s’est-il pas encore fait attraper par un monstre. Vu le boucan qu’il fait, c’est tout de même surprenant... Ou ça ne saurait tarder.

Nous avançons encore de quelques mètres et débouchons sur une petite place, juste devant le début du quai. Là, ce ne sont pas les bateaux qui attirent mon attention. Non, ce cri d’enfant a pris forme. Une personne, très certainement une femme, tenant un bébé, s’est perchée sur le toit d’une cabine téléphonique. Et le nuage de monstres qui les encercle ne laisse rien présager de bon.

Je dégaine ma hache d’un mouvement réflexe. Non pas que j’ai déjà pris la décision d’intervenir, mais la vue d’un mort-vif me fait cet irrémédiable effet : je la sors.

- Que faites-vous, Rodrick ? Vous n’allez tout de même pas les attaquer ? Vous avez vu leur nombre ?

- Quelle sympathie de votre part. Pourquoi ne suis-je pas étonné ?

- Vous ne me comprenez pas. Je voudrais bien y aller moi aussi. Je voudrais bien les aider autant que je le puisse, mais autant regarder la situation en face. Les monstres sont occupés, ce qui signifie que pendant ce temps là, ils nous foutent la paix. Ne pensez-vous pas que nous devrions en profiter ?

Je suis estomaqué. Je ne m’attendais pas à beaucoup de compassion de sa part, mais je ne m’attendais pas non plus à tant d’égoïsme. Peut-être a-t-elle raison ? Et peut-être que j’aurais pensé de la même façon si elle m’en avait laissé le temps. Mais là, à part m’avoir agacé, le résultat est que je vais lui donner tord, d’une façon ou d’une autre.

- Votre fils n’a pas plus de valeur que cet enfant. Si je l’ai sauvé, pourquoi ne viendrais-je pas en aide à un autre ?

Je déloge le petit des épaules de sa mère et le place au sommet d’une pile de caisses.

- Vous devriez monter le rejoindre pour vous mettre à l’abri en attendant que j’en finisse avec eux. A moins que vous ne préfèreriez continuer seule, en le portant à bout de bras ?

- Ne le prenez pas mal. Je disais cela pour vous également. Et si vous ne reveniez pas ?

- Alors vous porterez votre fils à bout de bras. Définitivement.

Qu’elle peut être énervante. Et quel manque de tact. Comment une mère peut-elle rester insensible aux cris d’un bébé. Qu’importe… Il est temps de passer à l’action. Ca tombe bien, j’avoue que cela me manquait un peu.

Mes armes sont dégainées, prêtes à fracasser. Alors je me rue, telle une tornade, je me jette m’abattre sur le troupeau de monstres.

Sur ma premère volée, la hache en pourfend deux d’un coup. C’est jouissif. C’est la première fois que je le fais. Les monstres ne m’ont toujours pas détecté. Dans leur dos, je prends un malin plaisir à les éclater les uns après les autres, sans trop réfléchir à un ordre précis. Mais par sécurité, je m'occupe à garder une certaine distance.

Schlouin ! Et encore une pastèque. Quel spectacle amusant de voir ces têtes exploser sous l’effet d’un coup central bien puissant. Je ne compte plus. Je dois bien en avoir déjà abattus cinq ou six. Peut-être sept ? Mais la troupe est imposante, et une fois en son sein, elle est encore plus impressionnante qu’elle ne paraissait, vue de l’autre côté de la place.

Chbing ! Et zut. Je ne m’attendais pas à ça. Ce mort-vif était tellement livide que la hache l’a littéralement transpercé de part et d’autre si bien qu’elle a fini sa course contre un angle de la cabine, me glissant des mains par la même occasion. Qu’à cela ne tienne, j’ai d’autres armes à mon actif. Je sors le sabre, puis perfore immédiatement un monstre de ma main droite tandis que je maintiens en joue un second à l’aide du couteau, puis j’extrais le sabre du premier mort-vif pour le planter dans le crâne du second.

Je me décide à prendre un peu de recul. Il faut que je puisse observer le reste des forces en présence. C'est que, pris dans le feu de l’action, je n’ai pas vraiment fait attention à son déroulement.

Quelques pas en arrière, une fois bien en place sur mes appuis, mes lames pointées vers l’avant, je commence à analyser ce qu’il reste du troupeau. Quatre monstres, et peut-être un cinquième derrière la cabine. Ma hache n’est plus visible, certainement dissimulée par le cadavre de l’un d’entre eux. La bonne nouvelle, c’est qu’ils sont toujours scotchés à la cabine. Et la raison en est des plus simples : un jeune homme s’y trouve coincé.

Un, deux et trois, j’y retourne ! A chaque coup, un monstre doit tomber, alors je prends le temps de bien viser les crânes dégarnis. Qu’ils sont moches, ces crânes. Ils n’ont plus que quelques touffes de cheveux qui s’acharnent à vouloir y rester collées. Il me rappelle mon prof de physique. Ca ne me rajeuni pas, mais comme pour les mort-vifs, si à l’époque j’avais pu lui glisser un coup dans le museau, je ne me serais pas gêné.

Mais je rêvasse. Encore trois d'entre eux sont debout, alors je fais un petit bond de côté pour ne pas rentrer dans leurs champs de vision puis je pointe main droite. Et plus que deux, puis je pointe main gauche. Et plus qu’un, que, pour la forme, je perfore des deux lames. Et je respire un grand coup.

Je prends le temps de bien observer la scène du crime. Avant de m’occuper des deux gugusses et du bébé, je veux être certains qu’aucun mort-vif ne sera plus un danger. J’ausculte leur tête, rassuré qu’elles soient bien toutes éclatées d’une façon ou d’une autre, puis je range mes lames et récupère la hache.

Voilà, maintenant, je peux discuter.

Je m’adresse en premier lieu à l’homme enfermé dans la cabine, en prenant soin de ne pas l’ouvrir. C’est un minot. Vingt cinq ans, peut-être un peu moins.

- Vous vous êtes fait mordre ?

- Non, non. Ils ne m’ont pas eu. Mais merci, merci beaucoup. Je peux sortir maintenant ?

- Si vous me promettez qu’ils ne vous ont pas mordu, je vous ouvre.

- Oui, je vous le jure ! Regardez mes bras.

Il rebrousse les manches de sa veste et me montre ses avant-bras. A priori, rien d’anormal.

- Et votre cou ? Montrez-le-moi s’il vous plaît.

Il s’exécute sans sourciller.

- Très bien, sortez vite. Mais ne trainez pas sur les cadavres des mort-vifs, ils pourraient se relever. On n’est jamais trop prudent. Et là haut, sont-ils sains ?

- Oui, pas de soucis. Selma et le bébé n’ont rien. Je les avais aidés à grimper sur la cabine quand les macchabées nous ont pris en chasse. Alors ils n’ont rien. Vous ne m’aideriez pas à les faire descendre ?

- Oui, bien sûr.

- Au fait, je m’appelle Dante. Et vous ?

- Appelez-moi Rodrick.

- Alors merci encore Rodrick. Sans votre aide, nous serions…

- Je vous en prie. C’est le petit qui a attiré mon attention. Ses cris pour être plus précis. Vous avez une arme ? De quoi vous défendre ?

- J’en avais une, plutôt efficace d’ailleurs, mais elle est restée coincée dans l’un de ces crânes. C’est une sorte de petite lance d’une cinquantaine de centimètres. C’est pratique, cela me permet de rester à distance.

- Retrouvez-la de suite s’il vous plaît. Je fini de faire descendre la dame. Madame ? Passez-moi le bébé pour commencer.

Elle me tend un petit bout de chou de quelques mois, pas plus, enroulé dans un fichu. Il s’est arrêté de crier. Je ne sais pas exactement quand mais il a dû sentir que le danger était écarté. Je le cède au jeune homme pour qu’il le porte le temps que j’aide la femme à descendre.

C’est une dame d’une trentaine d’années, peut-être un peu plus. Elle a l’air encore totalement paniquée.

- Essayez de reprendre vos esprits, Selma. C’est bien, Selma, votre nom ?

- Oui, c’est Selma.

Elle sanglote terriblement et a bien du mal à reprendre le dessus. Je ne sais pas depuis combien de temps ils étaient là, mais les évènements ont dû être épouvantables.

- Calmez-vous s’il vous plait. Essayez de respirer. Nous ne pouvons vous rendre le petit si vous ne vous calmez pas, vous allez l’effrayer.

- Oui je comprends. Mais… Si je pouvais m’assoir un instant, je pourrais…

- Dante ? Je vous abandonne quelques secondes. Aidez Selma à se reprendre un peu le temps que je revienne.

C’est qu’il y a une autre mère de famille qui ne va pas tarder à me crier dessus si je ne vais pas la chercher au plus vite. Evitons tant que possible de provoquer les états d’âme de Madame, ce ne sera pas un luxe pour mes oreilles.

- Vous revoilà finalement ? Toujours pas décidé à nous abandonner ? Peut-être est-ce un manque de courage ?

- Ne me cherchez pas Cézanne. Et passez-moi plutôt votre fils.

Une fois la mère descendue à son tour, nous rejoignons l’autre groupe.

- Dante, que faisiez-vous là ? Pourquoi être venus au port ?

- Il se dit que des bateaux emmènent les gens en sécurité sur les plateformes pétrolières en mer.

- Les bateaux en question se trouvent certainement sur le port de marchandises, et non pas ici sur le port de plaisance.

- Oui, nous étions en chemin pour y aller quand une troupe de monstres nous a pris en grippe. Vous ne viendriez pas avec nous par hasard ?

- Non, désolé. Je me dois d’être franc avec vous. Les plateformes pétrolières sont des leurres. Si vous y parvenez, ce ne sera que pour y mourir. Je sais de quoi je parle, j’en reviens.

 - Ah... Ok, alors que fait-on ? Admettons que vous ayez raison. Où aller ? Il n’est plus possible de retourner en ville suite aux bombardements. Alors, que faire ?

- Ecoute-moi Dante. Nous, nous allons prendre un petit bateau et rester en mer quelques jours. Nous accosterons un peu plus loin dans les villages côtiers pour nous ravitailler de temps à autres. C’est le plan le plus sûr qu’il soit pour l'instant. Je pense que vous devriez en faire autant.

- C’est bien comme idée, ça. Mais moi, je ne sais pas naviguer. Je n’ai pas de bateau et je suis bien incapable d’en démarrer un. Ca m’a l’air d’être une riche idée pour celui qui connait, mais pas pour nous. Selma, qu’en penses-tu ?

 Selma est bien incapable de répondre. Elle a le regard vide de la personne à bout de forces.

- Rodrick ? Peut-être devraient-ils se joindre à nous. Qu’en pensez-vous ?

- Le plan ne fonctionne que si nous sommes en petit groupe. Il fonctionnera pour eux et pour nous, si nous restons en deux groupes distincts. Plus le groupe est grand, plus le risque est élevé.

- Mais ils ont ce bébé. Et la maman n’est plus en état de faire quoi que ce soit.

J’hésite. Je vois bien que Cézanne a raison. Honnêtement, je ne pense pas qu’ils survivront bien longtemps. Le petit jeune a l’air dégourdi mais il ne pourra s’occuper seul de Selma et du bébé. Pouf… Les choses se compliquent d’avantage.

- Très bien, très bien. Si vous souhaitez vous joindre à nous, ce sera seulement si vous respectez mes règles. Des règles simples, des règles de survie.

- Je dois demander à Selma son avis. Je suis désolé, mais je ne peux prendre de décisions pour elle.

Dante se tourne alors vers elle. Selma n’est toujours pas au mieux, mais elle réussi tout de même à prendre la parole.

- Nous ne pouvons pas y aller, Dante. Moi et le petit devons rejoindre les plateformes. Je l’ai dit à sa mère. C’est là-bas qu’elle le cherchera.

Qu’est-ce que c’est que cette histoire encore ? Pourquoi les gens sont-ils toujours aussi compliqués ? Alors que j’avais pris la décision d’accepter de les garder avec nous, voilà que Selma nous l’a fait divergente.

- Selma, Dante. Je ne vous force pas à nous suivre, mais il va falloir prendre une décision rapidement car nous n’allons pas nous attarder ici.

- C’est que le bébé n’est pas celui de Selma. Elle le garde pendant que sa maman travaille. Elle est infirmière à l'hôpital Royal.

Le problème, c’est que cet hôpital, je le connais bien. Et je sais ce qu’il en reste. Peut-être devrais-je me taire. Mais laisser cette pauvre femme penser que la mère du petit ait pu y survivre me parait bien déraisonnable.

- Selma, nous revenons de l’hôpital, nous y étions cachés en son sous-sol. S’il y avait des rescapés, nous les y aurions vus. L’hôpital a complètement brulé. Si sa maman y travaillait, alors… Vous devriez considérer cet enfant comme le votre dorénavant.

Elle pleure, les nerfs ont craqué. Elle sera inconsolable.

- Dante, tu devrais décider pour vous trois. Vous nous suivez ou vous tentez les plateformes ?

- On vous suit, Rodrick.

Pourquoi les situations sont-elles toutes plus décourageantes les unes que les autres ? Alors que nous prenons le quai à la recherche d’un bateau qui puisse nous convenir, je ne peux m’empêcher de penser à Selma. Comment a-t-elle pu continuer de penser que la mère du petit serait encore en vie. La ville n’est plus qu’un tas de cendres, ses habitants se sont transformés en monstres et elle, elle garde l’espoir de revoir la mère. Est-ce de l’inconscience ? Ou de la foi ? Décidemment, je ne comprendrai jamais ce manque de bon sens.

- Attendez ! Attendez s’il vous plait ! L’un d’entre vous a-t-il un portable ? Le mien n’a plus de batterie.

- Oui Selma, j’en ai un dans mon sac.

Pour une fois, Cézanne sert à quelque chose. Mais en parlant de message, j'ai bien peur que Selma n'est pas vraiment reçu le mien.

- Je veux prévenir sa maman que finalement nous ne prenons pas les bateaux qui mènent aux plateformes. Juste lui laisser un message. Je peux ?

Un message vocal plus tard, nous arrivons enfin face à un alignement de bateaux en tous genres. Entre les trop petits pour nous six et ceux trop loin pour pouvoir y monter à bord, il ne nous reste finalement que peu de choix.

Je prends le temps de bien tous les examiner. Ce que je souhaite, c'est une voile pour éviter de tomber en panne d’essence en pleine mer. Ce serait la catastrophe. De plus, le luxe serait d'avoir une barque attachée au navire. Je ne sais pas vraiment si cela se pratique, mais qu'importe les conventions, notre survie est prioritaire. Il est évident qu'avec toutes ces conditions préalables, il ne va pas être facile de trouver notre bonheur.

En remontant le quai, un beau voilier, au mas impressionnant me fait de l’œil. Ce que j'aime en lui n'est pas tant son mas et la voile qui y est suspendue que le fait qu'il ressemble comme deux gouttes d'eau au bateau qui illustrait l'article sur la façon de naviguer. Autant dire qu'il semble être l'appât idéal. D'un geste de la tête, je fais alors signe à l'équipe de me rejoindre tout en pointant du doigt le navire. Je veux qu'ils comprennent que je maitrise la situation. C'est surtout valable pour Dante. Je lui ai imposé mes règles, alors autant qu'elles soient claires.

- Dante, reste ici s'il te plaît et protège-les si un mort-vif se pointait. Je monte à bord m'assurer que l'intérieur est clean. Tenez-vous prêts à grimper lorsque je vous ferai signe.

J'arpente la petite passerelle en bois vernis qui mène sur le bateau puis, hache à la main, jette un œil réglé sur le mode "silhouette à monstres" à travers les vitres et hublots. Pour l'instant, rien d'étrange.

Avant de pénétrer dans la cabine, je fais le tour du propriétaire. Le bâtiment est plus petit qu'il en a l'air. D'un blanc immaculé, seules quelques taches de sang à l'entrée de la cabine viennent m'interpeller. Je serre la hache bien fermement puis avance par petits pas. C'est que ce sang appartient forcément à quelqu'un. Une personne qui pourrait bien être encore sur place. Une personne qui pourrait d'ailleurs bien avoir mutée. Et cette personne se tient dorénavant devant moi. Je l'aperçois partiellement à travers la petite issue qui mène en contrebas dans la cabine, inerte, se déhanchant légèrement tel un pendule, sans le moindre grognement audible. Un peu comme s'il dormait debout. Ma présence aurait dû le ranimer. Il aurait déjà dû me sentir. Est-ce la forte odeur de la marée qui couvre celle de mon sang ? Hum... Si tel est le cas, alors nous serons définitivement plus en sécurité en mer. Mais dans l'immédiat, qu'importe la raison de son attentisme. Faisons encore quelques pas et perforons lui le crane.

Je décide alors de me le faire à l'aide du petit sabre. C'est que je ne souhaite pas éclabousser de sang l'intérieur de la pièce. Après tout, nous allons y vivre, non ?

En avançant encore un peu, j'aperçois un autre corps. Mais celui-ci est au sol. Allongé au pied du monstre, il semble nager dans une mare de sang. Surprenant. Dans pareille situation, le mort-vif devrait être avachi dessus à lui ronger les os jusqu'à la dernière miette de chaire. Il doit y avoir autre chose qui m'échappe pour l'instant. Et il n'y a pas cinquante moyens de savoir ce qu'il en est.

Je descends dorénavant les quelques marches qui mènent à la cabine, prudemment, chacun de mes pas anticipant un mouvement incongru du mort-vif. Mais décidemment, ce macchabée se refuse à me prendre pour cible.

- Ahhhh !

Je sursaute. Et voilà qu'il me fait mentir. Il s'est agité d'un coup. De totalement passible, il est devenu une véritable pile électrique, ses membres tout entier se débattant dans un mouvement des plus chaotiques. Et si ses jambes bougent de la sorte sans qu'il ne se déplace, c'est que ce pauvre monstre est pendu au plafond, ses pieds flottant à une quinzaine de centimètres du sol ne risquant pas de l'emmener bien loin.

Au moins, celui-ci ne sera pas un danger dans l'immédiat. J'en profite alors pour sonder la dépouille au sol. Elle croupi dans son sang, d'un sang bien sombre qui a eu tout le temps de sécher. En observant d'avantage la scène, je commence à en comprendre le déroulement. Le cadavre au sol, celui d'une femme, s'est vidé d'une bonne partie de son hémoglobine suite à une série de balles dans la tête, très certainement tirée par le pendu puisque l'arme réside à ses pieds. Quand au pendu justement, il n'a pas dû avoir le courage de s'en mettre une dans la cervelle et aura du coup préféré la corde. A moins que... En ramassant le pistolet, je comprends d'avantage pourquoi l'autre s'est pendu ; Le chargeur est vide. Bref. Un bien vilain final pour ce couple. Un de plus devrais-je dire. Le plus horrible dans cette histoire, c'est que la femme au sol ne s'est pas transformée. Elle était donc saine. Mais alors pourquoi l'avoir tuée ? Peut-être auront-ils voulu partir ensemble ? Une certaine vision du romantisme, pourrait-on dire. Bah... Ce ne sont pas mes affaires après tout.

Fini de jouer les Sherlock Holmes. J'ai deux cadavres à expédier par dessus bord avant que les gamins ne me rejoignent.

Se débarrasser du mort-vif n'est pas si évident tant il se débat, attaché à sa corde. Mais il ne résiste finalement pas bien longtemps et ses convulsions se stoppent aussitôt que la lame lui transperce le cerveau.

Je tire les deux corps l'un après l'autre, les jette à l'eau, puis retourne examiner la cabine. Les mort-vifs sont pire que la peste. Il en reste toujours un de caché quelque part. Je reste méfiant.

L'intérieur est coquet. Il semble même qu'il y ait de quoi cuisiner, des banquettes pour dormir et une petite salle d'eau. Le luxe, somme toute. Mais ce que je souhaite trouver, c'est le poste de pilotage et sa radio. Car il est hors de question de rester en mer ad vitam. La radio sera notre seul moyen de communication avec le monde civilisé et je compte bien le retrouver. Je ne sais combien de temps cela durera, mais un jour viendra où le monde tournera rond de nouveau.

Je ne l'imaginais pas aussi petit, ce poste de pilotage. J’espère seulement que mes cours de navigation accélérés correspondront à l’engin.

Je retourne enfin sur le ponton, à l'extérieur, et fais signe au groupe de monter à leur tour. Le bateau est maintenant sûr, tout le monde peut embarquer, il est temps de déguerpir de cette ville, pour de bon.

Adieu Aberdeen !

22 juin 2014

Mort et Vif - Tome I - Chapitre 34

Il règne une atmosphère des plus sinistres dans ce parking. A chaque pas que je fais, la frousse de tomber nez à nez avec un mort-vif me noue la gorge. Le plus dur dans tout ça, c’est que je dois nettoyer les lieux de fond en comble. Je ne peux me permettre de tenter de rejoindre une sortie au plus vite. Non, chaque mort-vif que je ne fracasserai pas sera un danger pour Cézanne et son fils lorsque je reviendrai les chercher. Cette tache m’inquiète. Plus je reste ici, et plus les piles de ma torche se consomment. Aurai-je le temps de sécuriser les deux niveaux du parking ? Tout cela me parait bien compliqué.

Je commence méthodiquement en suivant les numéros des places de parking. Après tout, quel meilleur repère qu’une suite de numéros.

La première rangée dans le coin le plus à droite du cagibi est vierge de tout mort-vif. Rien à craindre de ce côté là. J’en profite pour reluquer à travers les vitres des véhicules garés. Après tout, peut-être y trouverai-je une ou deux choses utiles. Mais pour l’instant, rien d’extraordinaire. Je ne m’attarde pas…

J’entame la partie la plus avancée, celle proche de la rampe qui mène à l’étage supérieur, le niveau -1. Elle me parait moins sûre. Non pas qu’il me semble y observer des monstres, mais un bruit bien connu en provient. Il s’y trouve un grognement dissimulé quelque part par là. Je commence à contourner les véhicules. Je l’entends donc je le traque. Il est tout proche. Ses grognements ne laissent aucun doute. Oui, tout simplement planté entre deux voitures, de dos. Celui-là ne m’a ni vu, ni senti. C’est étrange. D’habitude, ils se retournent rapidement lorsqu’ils me sentent proche d’eux, attirés par l’odeur du sang. Mais celui-là est différent. Peut-être n’a-t-il plus d’odorat ? Mais qu’importe ! Je ne suis pas là pour théoriser sur les raisons possibles qu’un mort-vif ne me renifle ou pas. Je suis là pour sécuriser la zone au plus vite, alors… Je dégaine la hache et lui plante sur le sommet du crane. Il n’a pas bronché. Seuls ses grognements ont cessé. En ressortant ma hache de sa tête, je comprends mieux pourquoi qu’il ne risquait pas de me sentir. Ce brave monstre n’a plus de visage. Comme s’il s'était pris un coup de hache lui ayant tranché la face avant mais lui ayant épargné le cerveau. C’est tout simplement répugnant.

Etrange… Je reprends mon inspection rapidement car je ne me sens pas à mon aise. Non pas que je sois claustrophobe, mais je ne me réjouis pas non plus à l’idée d’être enterré. J’avoue que je me sentirai mieux quand j’aurai trouvé un moyen de nous échapper d’ici. Plus aucun bruit ne semble venir de cet étage. Cela ne signifie pas pour autant qu’il est sûr. Nous ne sommes jamais à l’abri d’un mort-vif au sol, se réveillant au dernier moment. Je continue donc méthodiquement ma reconnaissance des lieux.

- Ahhh ! La saloperie !

J’avais bien raison ! Une main vient de m’agripper le pied ; celle d'un grand bras dégarni verdâtre ne laissant aucun doute sur les origines de son propriétaire. Je le laisse se trainer hors de la camionnette sous laquelle il était camouflé, puis lui perfore le crâne à l’aide du petit sabre. Simple et rapide. J’aime. Cette expérience me montre bien à quel point ces sales bêtes sont fourbes. Il faut toujours rester sur ses gardes. Au moindre moment d’inattention, elles en profitent pour vous surprendre et vous prendre en traitre.

Allez, reprenons le sens de la marche et ouvrons l’oreille. Car mon petit cri de stupeur a résonné dans tout le sous-sol et pourrait bien avoir alerté ses congénères.

La bonne nouvelle, maintenant que j’ai atteint la rampe, c’est que cet étage du parking est dorénavant sain. Sauf erreur de ma part, aucun macchabée ne viendra nous assaillir à la sortie du réduit. Par contre, plus je progresse et plus de la rampe s’échappe un bourdonnement. Si je ne l’entendais pas plus tôt, c’est que sa source doit être loin. Par contre, puisque je l’entends de plus en plus distinctement, c’est qu’elle doit être au premier sous-sol, donc bien assez proche pour être un réel problème. Je me dois de savoir. Inutile de tracer des plans sur la comète. Pouvons-nous oui ou non sortir du parking en sécurité ?

Je remonte lentement et sûrement la rampe. La lampe-torche ne montre encore aucun signe de défaut. Elle illumine avec toujours la même intensité, sans un sourcillement. Les bruits sont multiples et confus. Ils ressemblent à un mélange de grognements, de traine-savate et de crépitements. Et je commence à en saisir les origines : une partie du sous-sol est en flamme.

De ma position, il m’est bien difficile de définir exactement la situation. On dirait bien qu’une partie du plafond s’est effondrée et que du napalm a pu se déverser à travers le trou formé. Car si ce n’est le napalm, je ne vois guère ce qui peut bruler en continue de la sorte.

Schbong ! Qu’importe la raison de ce foyer, un mort-vif vient de tomber à travers le trou béant et nous a rejoints ici bas. Schbong ! Un second vient de s’affaler à son tour par le passage. Et comme son collègue, malgré les flammes l’encerclant, il se relève après quelques instants et commence à déambuler telle une torche humaine.

Schlong ! Ca n'arrête pas...

- A cette vitesse, l’étage sera envahi de mort-vifs dans moins d’une heure ! Quelle poisse !

Les choses m’ont l’air bien mal embarquées. Car si ce trou est un véritable générateur à monstre, il est malheureusement situé à l’emplacement qui correspondait à la rampe de sortie du parking. En deux mots, le plafond s’est effondré et la sortie n’en est plus une. Exactement ce que je craignais : nous sommes pris au piège du souterrain qui s’est refermé sur nous.

Là, il est temps de paniquer ! Je ne vais tout de même pas passer des heures et des heures à éradiquer des monstres à coups de hache dans le noir. Comment vais-je bien gérer ça ? Aurai-je suffisamment de lumière pour les combattre jusqu’à ce qu’il cesse d’en venir de ce trou béant ? Mais peut-être est-ce là la solution. Peut-être devrais-je me préparer à tous les vaincre, puis une fois exterminés, nous escaladerons le tas de gravats afin de sortir d’ici. En espérant que les flammes s’éteindront d’ici là, évidemment. Si j’étais seul, ma combinaison me protégerait et je pourrais tenter le coup. Mais là, avec les deux boulets que je me suis collé aux pieds, mes décisions sont forcément à revoir sous un autre angle. J’en étais sûr. Je savais qu’ils seraient ma perte. Il était évident qu’ils me compliqueraient la vie. Je n’aurais jamais dû accepter de les aider… mais avais-je le choix ? Avais-je le droit de dire non ? En mon âme et conscience, pouvais-je les abandonner aux morsures des mort-vifs et au napalm des bombes ? Pouf…

C’est dans ces moments là qu’il me faut retrouver mes fondamentaux. Si je ne peux m’appuyer sur eux, alors je ne vaux pas mieux que tous ceux qui sont déjà morts. Car sans être prétentieux, ma survie n’est-elle pas une preuve de supériorité ? C’est moche de parler de la sorte. D’autant que ça ne me ressemble pas. Flatter mon ego n’est pas pour me déplaire, mais me délecter de pensées prétentieuses l’est franchement moins. Non, quand je parle de fondamentaux, je parle avant tout de mes forces : force de réflexion, force d’analyse, force de proposition… Bref, tout ce qui me permet en temps normal de résoudre un problème et répondre à une problématique. Et là, il ne faut pas que j’hésite à me poser la question la plus basique : qu’est-ce qu’on a ? Et à cette question, je peux répondre aisément que je n’ai qu’une partie de la réponse et que je n’aurai le reste que lorsque j’aurai visité les lieux dans leur entièreté. Car si la sortie du parking est dorénavant condamnée, la porte dérobée d’où s’extirpait une vilaine main il y a quelques heures de cela est peut-être toujours accessible.

Alors qu’est-ce qu’on a ? Nous avons à retrouver cet accès sous forme de sortie de secours qui pourrait bien être notre salut.

De mémoire, il était à une bonne trentaine de mètres de l’entrée du parking, contre le mur de gauche. Donc en remontant sur la droite, je devrais à la fois éviter le gros des troupes et débarquer directement dessus.

Allez, c’est parti. Voilà le plan : je rejoins cette porte. J’en extrais le mort-vif d’un bon coup de hache bien placé puis je m’assure que la zone derrière elle est suffisamment sûre. Alors je retournerai chercher Cézanne et son fils. Mais tant que le trajet n’est pas parfaitement tracé, je ne les évacuerai pas de leur cachette.

- Mouais. Ca m’a l’air bien comme ça.

Me rapprocher de cette petite sortie, c’est également se rapprocher du troupeau de mort-vifs qui s’amassent autour du plafond effondré. Car même si le passage n’y est pas totalement collé, il n’en est pas très loin.

Alors je longe tant que possible le mur du fond en progressant accroupi afin de ne pas trop attirer l’attention. Mais la progression n’est clairement pas des plus aisées. Tout d’abord car des mort-vifs se sont quillés entre les voitures stationnées et ensuite, car marcher en canard me fait un mal de chien. Les muscles de mes jambes sont aux abois. Décidément, je n’ai vraiment rien d’un sportif.

Schbong ! Et un de plus… J’ai bien peur que ce bruit ne cesse jamais.

Cette situation m’exaspère. Je me traine comme une larve, avançant accroupi tel un froussard, et cela a le don de m’énerver. Je n’aime pas quand les choses n’avancent pas bien, quand elles traînassent, qu’elles luttent pour progresser d’un rien. Je haïs ces situations laborieuses où rien ne se déclenche vraiment. Et dans ces cas là, je bouillonne intérieurement. Je me sens prêt à tout changer, à tout faire péter.

Alors je me redresse fièrement comme pour les provoquer, observant autour de moi le panorama. Et je ne distingue finalement qu’un décor sombre, humide, glauque, embrumé, animés de monstrueuses silhouettes se déhanchant au rythme des crépitements et ondulations d’un foyer de flammes aussi rouge que le sang. Est-ce donc ça, l’enfer sur Terre ? Si notre monde ne ressemble plus qu’aux entrailles de Lucifer, pourquoi s’acharner à survivre ?

Bah… Après tout, quoi de plus normal ici sous terre ? Car ne sommes-nous pas au sous-sol ? Oui, j'ironise un peu. Car si ma place n’est peut-être pas au paradis, je ne l’assume pas aux enfers non plus. Alors, pour moi et ceux qui le méritent, je vais remonter d’un cran. Et cela va se passer par cette satanée porte de secours.

Je me décide à progresser d’un pas plus assuré. Je veux en avoir le cœur net. Cette sortie est-elle praticable ? Chacune de mes foulées s’allonge un peu plus. Je suis impatient de savoir. Je veux le découvrir, maintenant, pris par un désir compulsif. Qu’y a-t-il derrière cette issue ? Nous emmènera-t-elle au paradis ? Je n’en demande pas tant ; un retour sur Terre sera un salut bien suffisant. Et ce n’est pas le macchabée devant moi qui me retiendra ici bas.

Swiiiippp ! Et une tête volante, une ! Celui-là aurait mieux fait de ne pas se trouver sur mon chemin. Quand je suis décidé, rien ne peut m’arrêter. Dorénavant, mes pas ressemblent plus à un petit trop qu’à une marche. Je reste aux aguets, observant mes alentours proches pour ne pas être surpris par un mort-vif puis je rejoins enfin cette satanée petite porte.

Il semblerait que l’environnement soit plutôt propice à se dissimuler des morts-vifs, car malgré mes enjambées plus incisives, les monstres ne semblent pas m’avoir particulièrement détecté. En tout cas, pas ceux qui s’affalent et s’agglutinent proche du foyer. Est-ce que les flammes les anesthésient ? Ou les hypnotisent ? Est-ce l'effet de la chaleur qu’elles dégagent ? Où bien est-ce la lumière qu’elles génèrent ? Ils ne se jettent pourtant pas dans les flammes comme des insectes se colleraient à une ampoule électrique… Toujours est-il que leurs sens ne sont pas aussi alertes que d’habitude. Surprenant, mais je ne vais pas m’en plaindre. Et cette porte alors ?

Elle a dû prendre cher lors du bombardement car elle est complètement cramée. Et la chaleur excessive l'a totalement dilatée et gondolée si bien que l’ouvrir est un vrai challenge. J’ai beau tirer de toutes mes forces, elle ne cède quasiment pas. Si en fait, elle se déforme légèrement car les gonds semblent s’être soudés à leurs attaches respectives et il me parait impossible que cette porte s’ouvre correctement à présent. Qu’importe, je force encore d’avantage. Suffisamment pour pouvoir jeter un coup d’œil de l’autre côté.

Une cage d’escalier littéralement enduite de suie et de cendres, si bien que je me demande même si elle ne s’était pas embrasée avant le bombardement. En tout cas, si l’odeur d’incendie qui y règne est incommodante, il n’y a pas d’épaisses fumées qui gêneraient notre progression.

Je me décide à me glisser à l’intérieur. Je souhaite d’abords ausculter les lieux. L’escalier en béton n’a pas trop souffert des flammes. Il mène à un étage supérieur qui devrait être le rez-de-chaussée si je ne m'abuse. Je monte les premières marches pour tenter d’observer l’étage supérieur. Tout est noir de cendres si bien que repérer des formes ou des lieux reste très difficile. En tout cas j’aperçois un couloir, une porte… Bref, je pense que l’on va être bon si l'on sort par là.

Je redescends immédiatement, en faisant toujours aussi attention de ne pas me faire surprendre par l’une de ces sales bêtes puis me rends au parking inférieur en rebroussant chemin.

Toc, toc, toc.

- Ouvrez-moi, Cézanne.

La porte s’entrouvre.

- Vous vous êtes souvenu de mon nom finalement ? On y va ?

- Oui, il semble qu’il y a un moyen de sortir un peu plus loin, de l’autre côté du parking. Et comme toujours, vous marcherez dans mes pas, le petit sur vos épaules.

- Ok, allons-y.

- Et couvrez-vous le nez, l’air n’est pas des plus respirables là-bas.

Je n’ai pas envie de m’éterniser. Je sais qu’une sortie nous tend les bras, à quelques pas seulement, et je veux la franchir au plus vite. Oh oui, je ne pense plus qu’à ça. Cette petite cage d’escalier m’a fait de l’œil et je compte bien répondre à son appel au plus tôt.

Nous reprenons le chemin de l’étage supérieur, encore une fois. J’ai l’impression d’avoir fait ce trajet des dizaines de fois. Cette partie du parking n’a plus aucun secret pour moi. Arrivé au niveau supérieur, je prends d’avantage de précaution. Notre succès réside dans le fait d’agir vite. Des mort-vifs continuent de s’effondrer à travers le trou béant du plafond, et si, pour quelque raison que ce soit, ils ne nous détectent pas, je ne tiens pas à être présent ici lorsqu’ils se réveilleront.

Nous frôlons le mur le plus à gauche pour ne prendre aucun risque, les voitures nous dissimulant partiellement, puis nous atteignons enfin l’issue de secours. Je tire la porte de nouveau pour en agrandir l’ouverture et laisse y pénétrer Cézanne et son fils, puis, avant de me hisser à mon tour, je jette un dernier coup d’œil à la vision de l’enfer désormais derrière nous. Oui, je prends la peine de profiter de ce spectacle de ténèbres une dernière fois car si je sais bien que la terre ferme, juste au dessus de nous, n’a rien d’un paradis, cette vision gravée en moi me rappellera qu'il y a toujours pire.

Je me glisse à mon tour dans la cage d’escalier puis en grimpe les marches tout en concentrant mon regard sur cette potentielle sortie à l’étage. C’est que je ne les ai pas complètement montés ces escaliers et je dois me préparer à d’éventuelles surprises, et pas forcément des plus rassurantes.

Une fois arrivés au rez-de-chaussée du bâtiment, nous suffoquons de cette odeur de cochon cramé qui n’a jamais été aussi oppressante et je comprends pourquoi. Alors que nous traversons un étroit couloir, nous distinguons au sol ce qui ressemble à des cadavres calcinés par dizaines. Si certains ont grandement brulé, d’autres, au contraire, sont encore parfaitement reconnaissable. Difficile de penser que le petit n’en fera pas des cauchemars ce soir.

Et plus nous approchons de ce qui semble être le hall d’entrée, guidés par la lumière du jour enfin visible, plus les amoncellements de corps s’enchainent les uns après les autres. Autant dire que cela a été un véritable carnage. Les braises encore chaudes craquent sous nos pieds, chacun de nos pas relevant cendres et poussières. Marchons-nous sur des restes humains ? Certainement. Pourtant, je prends garde à essayer de les éviter. Par respect, mais pas seulement. Les mort-vifs sont fourbes et je ne serais pas surpris que l’un de ces cadavres se relève à notre approche. Je me méfie d’eux comme de la peste.

La lumière se fait dorénavant plus présente. Elle nous éblouie même par instant. Enfin le bout du tunnel tant espéré. Je presse le pas, je veux nous sortir d’ici. Ce charnier me dégoute et m’asphixie.

Sortir ! Je n’ai plus que cette pensée en tête.

Ca y est, enfin, j’y suis… Nous y sommes ! A l’air libre.

Je fais quelques pas sur le parvis de l’hôpital et constate autour de moi que le charnier du parking n’était qu’un préambule à bien pire. Aberdeen n’a plus rien d’une ville. Elle n’est plus qu’un immense fourneau à ciel ouvert. Aberdeen est en ruine !

Publicité
10 juin 2014

Mort et Vif - Tome I - Chapitre 33

 

Gronk ! Gronk ! Qu’est-ce que c’est ? Je suis réveillé en sursaut par un son douteux venant de l’extérieur.

- Saloperie !

Je me rue sur le couteau, me relève en une fraction de seconde et me jette sur la porte tout en refermant ma tenue. C’est que cette horrible main de mort-vif qui s’est faufilée à travers la petite porte de fortune de notre cachette, je la reconnais bien : c’est celle qui dépassait de la porte de secours lorsque nous sommes arrivés dans le parking. Comment a-t-il pu survivre ? Et est-il seul ? J’en aurai le cœur net dans un instant. Je contourne la table, réveillant la mère au passage et me positionne près de la porte pour attaquer le macchabée.

- Qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi vous affolez-vous ainsi ?

Pas le temps de bavarder avec Madame. L’espace est très restreint et alors que je me rapproche de la porte, la main du monstre parvient à agripper une sangle de ma combinaison. Dans cette position, le risque est infime mais le souci est qu’il me gène dans mes mouvements. Si je pouvais seulement dégager la table, la porte s’ouvrirait et il serait alors aisément à ma portée. Mais dans cette configuration, la situation est complètement bloquée.

- Ahhh ! Un monstre vous a attrapé !

- Merci, merci. Je le vois bien. Mais cette fichue table m’empêche d’agir.

- Ok, je vais la bouger, je la déplace de suite.

- Non ! Surtout pas maintenant. Ne faites pas ça. Réveillez le petit et allez vous quiller dans le coin, de l’autre côté de la porte.

- Mais pourquoi ?

- On se fiche du pourquoi et on se dépêche ! Prenez le petit et cachez-vous dans l’angle derrière la porte.

Je veux que la porte les protège. En se mettant du côté des gonds, elle basculera dans leur direction et agira tel un bouclier géant.

- Alors, qu’attendez-vous ?

- Une seconde, oui ! Vous pensez que l’on réveille un enfant de 4 ans facilement ?

- Je ne vous demande pas de le réveiller ! Prenez-le dans vos bras et emmenez-le avec vous dans l’angle de la pièce.

Elle fini par s’exécuter et, alors que le petit se met à pleurer, tente de le calmer tout en contournant la table.

- Bon, vous tirerez la table vers vous quand je vous le dirai…

Trop tard, elle a tiré la table.

Immédiatement, le mort-vif me bondit alors dessus. Je tombe à la renverse, pris au dépourvu, sous le poids du monstre. Pendant quelques instants, ces instants où je ne maitrise plus la situation, je me mets à en vouloir tout particulièrement à cette femme. Car elle est bien la responsable de cette anicroche. Mais je connais déjà ce genre de situations. Je les ai rencontrées à de multiples reprises, et ce n’est pas ce mort-vif qui m’aura. En tout cas, pas comme ça.

Il s’affole, et s’agite pour tenter de me mordre mais ma combinaison joue son rôle à merveille. Je dois juste reprendre mes esprits, reprendre le dessus. Ce n’est pas le premier macchabée qui s’agite sur moi que je rencontre. Et dans ces cas là, il fait savoir raison garder lorsque l’on est bien protégé comme dans mon cas.

Un, bien empoigner le couteau. Mais c’est qu’il a disparu. Lorsque le monstre m’a sauté dessus, sous l’effet de surprise, j’en ai perdu ma lame. Elle a dû tomber à côté de la porte et je ne vois comment je pourrai la récupérer. Non, la solution ne viendra pas du couteau. Alors il me faut le sabre. Il est dans ma botte, comme à l’accoutumée.

Oups ! Un moment d’effroi vient de me parcourir le corps. C’est que mes bottes… Je n’ai pas pris le temps de les rééquiper avec ces histoires d’ampoules aux pieds. Bon, je le reconnais, ça commence à sentir mauvais.

- Hey, passez-moi le sabre, vite ! Il est à côté de mes bottes !

- Quoi ?

- Le sabre ! Le petit sabre doré ! Allez !

Alors que j’essaie de repousser le mort-vif, elle cherche mon arme, tripatouille des objets mais semble mettre une éternité.

- Vous le fabriquez ou quoi ? Il n’y en a pas cinquante des petits sabres do…

Puis finalement je sens dans ma main droite un objet ressemblant fortement à ce que je cherche. Ca y est, le sabre est en ma possession. Je l’empoigne fermement et, retenant la tête du monstre pour qu’il ne bouge plus comme un dératé, lui perfore le crane d’un bout à l’autre et le ressens se relâcher aussitôt.

Je le repousse sur le côté et il s’affale alors sur le lit de camp du petit. Hum… Pas sûre qu’il voudra s’y recoucher. Je me redresse alors et m’assure que la petite famille va bien. La mère recouvre son fils qu’elle cache derrière elle dans le coin de la pièce, le protégeant de tout son corps tel un rempart.

- Il vous a mordu ?

Je regarde ma tenue. Elle n’a pas l’air d’avoir souffert. J’en profite pour la resserrer d’avantage.

- Non, je n’ai pas l’impression. Heureusement, je suis bien équipé. Il n’y a plus rien à craindre main… Ahhhh !

Quelque chose me tire à la renverse. Et je n’ai aucun doute sur l’ingrat qui s’en charge. Un satané mort-vif vient de me surprendre par derrière. Là, je suis mal. Car si ma combinaison protège parfaitement mon corps, ma tête, elle, est beaucoup plus à découvert. Quand à mon crane, lui, il est mon véritable talon d’Achille.

En un instant, je viens de prendre conscience de ma vulnérabilité. S’il me mord le dessus de la caboche, je suis fichu.

D’un geste quasi réflexe, je me retourne afin de lui retirer la partie sensible. Sauvé… pour l’instant. Maintenant que nous nous faisons face, c’est entre lui et moi. Il ne souhaite qu’une seule chose, c’est me croquer. Et je ne souhaite qu’une seule chose, c’est le massacrer. L’espace est étriqué, mes gestes ne peuvent être que contenus. Il me sert fort dans ses bras, et j’avoue avoir connu des instants plus réjouissant dans cette position avec des jeunes femmes bien plus séduisantes. Car le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est d’une laideur abominable. Je n’ai jamais rien vu d’aussi écœurant qu’un mort-vif. Quelle saloperie peut bien s’amuser à rendre mobile un macchabée. Quel virus parvient à faire bouger des cadavres en décomposition ? Et avec quelle énergie bougent-ils ? Comment des corps en lambeaux parviennent-ils à s’animer de la sorte ? N’importe lequel de ses membres devrait s’arracher et se détacher au niveau des articulations. Mais il n’en est rien. Derrière cette contamination se cache quelque chose de bien pire, de bien plus puissant, de bien plus grave. J’ai toujours pensé que les virus venaient se nourrir dans des corps vivants, en bonne santé, tels des parasites. Mais quel intérêt celui-ci a-t-il à venir s’associer à des êtres morts ? Que vient-il y chercher ? Et si je suis contaminé, pourquoi ne m’affecte-t-il pas ? Quel organisme peut bien être suffisamment tordu pour ne se développer et s’épanouir que dans les ruines et le chaos ? Plus j’y pense et plus j’en suis sûr. Il n’y a rien dans la nature qui ne dispose d’un tel comportement. On pourrait me rétorquer que les vers s’alimentent des dépouilles des cadavres. Mais, justement, ils viennent purifier la nature en y enlevant toutes traces de mort, car elle n’a pas sa place ici bas. Lui, ce virus, il s’en abreuve !

Mais il n’est plus temps de philosopher ; j’ai des comptes à lui rendre à ce virus, et pas plus tard que tout de suite. Ce sale mort-vif a beau s’acharner, dans la position actuelle, il ne peut plus me mordre. J’ai placé mon avant-bras sous son cou, contenant sa tête à une bonne dizaine de centimètres et je maintiens l’un de ses bras pendant que l’autre s’escrime sur ma combinaison. Aucun risque. Normalement, tout ce qu’il me faudrait faire, c’est atteindre son crâne avec le sabre que j’ai toujours en ma possession. Mais mes deux bars étant pris, je n’ai plus d’accès possible. Qu’importe... Si je ne peux lui transférer les tympans, je me débarrasserai de sa tête d’une façon ou d’une autre. Et pour ça j’ai ma petite idée, car le sabre est dans ma main droite, celle qui maintient sa tête hors de portée.

- Hey, venez vite m'aider. Laissez le petit dans le coin et rejoignez-moi.

- Mais il y a le monstre. Hors de question que je m'en approche !

- Bien au contraire ! Il est tout à fait question que vous vous en approchiez, et vous allez même le liquider.

- Liquider ? Qu'est ce que cela veut dire ?

- Arrêtez avec vos questions et venez me donner un coup de main. On ne va pas y passer la journée. S'il vous plait... Si vous ne faites rien, je vais finir par lâcher. Alors, bougez-vous les fesses !

Elle a bien du mal à accepter mais il me semble qu'elle commence à comprendre l'importance de la situation.

- Ok, que dois-je faire ?

- Attrapez le sabre dans ma main. Glissez votre bras et venez le chercher.

- Quoi ? Non mais vous êtes fou ! Que je passe ma main à côté de sa bouche est hors de question.

- Il ne vous mordra pas, je le tiens bien. Mais faites vite et arrêtez de tout commenter. Attrapez ce fichu sabre, maintenant !

Elle a tellement peur d'être mordue que son bras tremble comme le bâtiment sous l'effet des bombes. Et elle l'avance à la vitesse d'un escargot, se préparant à enlever son bras au moindre geste du mort-vif qui s'excite d'avantage à l'approche du sang frais.

- Allez, encore un effort. Vous y êtes presque. Voilà, c'est ça, encore quelques centimètres... Prenez-le ! Allez-y, emparez-vous du sabre. Et ne le faites pas tomber.

Bing ! Peut-être n'aurais-je pas dû parler de le faire tomber. Etait-ce prémonitoire ? Ou tout simplement inévitable.

- Je suis désolée... J'ai cru qu'il allait... Enfin, le monstre... Il a bougé et...

- Oui, oui. Je comprends. C'est le monstre. Bien sûr, le monstre vous a fait paniquer. Alors baissez-vous, glissez votre bras entre mes jambes et ramassez le sabre. Et en vitesse s'il vous plait.

J'essaie de ne pas m'énerver, de conserver le contrôle de la situation. Mais autant dire qu'en temps normal, c'est à dire sans aucun mort-vif à dix centimètres de moi près à me croquer, je lui aurais soufflée dans les bronches bien violemment.

- Ca y est, je l'ai. Et j'en fais quoi maintenant ?

- Perforez lui le crâne. Par le côté. Visez les tempes, c'est plus tendre.

- Mais c'est horrible ! Je ne peux pas faire ça. Je n'ai jamais fait ça.

- Eh bien, comme quoi, tout à un début. Serrez le sabre bien fort dans votre main puis collez la pointe sur la tempe et poussez d'un coup sec.

- Mais… C’est répugnant.

- Je vous l’ai déjà dit. On n’arrête de tout commenter. Et là, maintenant, on perfore. Avant que je le relâche…

- Ok, ok. J'essaie. Mais il bouge trop. Vous ne pouvez pas lui bloquer la tête d'avantage ?

- J'essaie, figurez-vous ! Allez. Poussez cette lame dans son crâne ! POUSSEZ !

Schouinck. Ses bras se sont relâchés en un instant et ses forces l’ont abandonné dans la foulée. Radical comme toujours.

- Je l'ai eu, n'est-ce pas ? Je l'ai bien eu, non ?

- Oui, oui, c'est fait. C'est terminé... Et laissez le sabre dedans, je le retirerai.

Je le maintiens toujours, sa tête basculant à la renverse. Il pèse lourd mais je ne tiens pas à ce qu’il tombe ici même. Tout d’abord car il bloquerait le passage, et ensuite car je ne souhaite pas que le petit voit ça. Il n’est pas obligé de subir de telles exactions à son âge. S’il survie dans ce monde, il aura bien assez le temps de découvrir cette horreur quand il sera plus grand. A quatre ans, on regarde les dessins animés à la télé, pas des mort-vifs décapités.

Je sors de la pièce pour me débarrasser du cadavre mais je suis très inquiet. Car ces deux mort-vifs ne sont peut-être pas les seuls à venir nous rendre visite. Et si le parking était envahi de ces sales monstres ? Et s’il fallait que je me prépare à en découdre avec des dizaines d’entre eux ? Je pense que je ne suis plus aussi consciencieux qu’auparavant. J’ai l’impression que je me relâche, que je perds mes habitudes. Et pas les mauvaises, les bonnes, celles qui permettent de rester en vie. Je dois me reprendre, retrouver les repères, mes origines, tout ce qui faisait ma force et m’a permis de survivre jusqu’à maintenant. Il est temps que l’ingénieur qui m’habite reprenne le dessus sur le chasseur.

Le parking est totalement plongé dans l’obscurité. Seule la petite lampe de fortune du cagibi éclaire à travers l’ouverture de la porte. Dans ce cas là, il me faut utiliser mes oreilles. Les mort-vifs ne sont pas discrets, et leurs émanations sonores sont reconnaissables parmi milles. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’écho ne cesse de trahir leurs moindres faits et gestes. Des grognements, légers, résonnent jusqu’au ici au fin fond du parking. Aucun doute, nous ne sommes pas les seuls à être venus nous protéger des bombardements dans ce terrier.

Sans perdre une seconde de plus, je me débarrasse rapidement du corps du mort-vif qui m’encombre les bras, puis retourne rapidement dans le réduit et y referme la porte. Tout d’abord, je prends soin de m’équiper de mon attirail habituel, sous les yeux surpris de la mère et du petit. Ils sont d’un calme idéal. Puis, une fois prêt pour l’action, j’empoigne la lampe-torche. Il est temps que je sache : le parking est-il pratiquable ?

- Attendez-moi ici, je vais m’assurer que l’on puisse ressortir en sécurité. Enfermez-vous à l’intérieur et n’ouvrez qu’à moi seul. C’est bien compris ?

- Pourquoi ne vient-on pas avec vous ? Je ne comprends pas.

- Vous souhaitez vraiment être de nouveau agressés par les monstres ? Laissez-moi le temps de sécuriser les lieux, de trouver une sortie, puis je reviendrai vous chercher. Ne paniquez pas, je ne vous abandonnerai pas ici.

- Ok… Mais pouvez-vous nous débarrasser de ce cadavre là ?

Et oui, effectivement. Le premier mort-vif est toujours allongé sur le lit de camp et je comprends qu’ils ne souhaitent pas être enfermés avec lui.

- Bien, et je le répète, ne bougez pas d’ici. Je reviens quand je me serai assuré que l’on peut sortir en toute sécurité.

- Encore une fois merci pour tout. Et avant de partir, vous devriez manger un peu, vous aurez besoin de forces.

Elle me tend un morceau de gâteau qu’elle pointe directement sur ma bouche. Je suis un peu surpris mais je ne refuse jamais un morceau de pudding. Après tout, elle n’a pas forcément tord, il me faudra bien récupérer des forces avant d’affronter les affreux mort-vifs. Pendant que je grignote, elle ne cesse de me fixer de ses yeux de biches. Son jeu de séduction reprend. C’est dans ces moments là qu’elle vous mord. Au moment où l’on s’y attend le moins.

- Merci pour le gâteau. J’y vais, j’ai du travail qui m’attend.

- Très bien, mais ne rentrez pas trop tard du boulot. Votre famille vous attend.

Devant mon regard surpris et décontenancé, elle reprend de plus bel.

- Je plaisante, inutile de faire cette tête là. Les situations compliquées n’empêchent pas une pointe d’humour. Ne pensez-vous pas ?

Ne pas entrer dans son jeu. Elle gagnerait à tous les cops.

- Restez bien enfermés ici.

Puis elle referme la porte derrière moi me laissant seule avec la lampe-torche au fin fond de ce parking.

J’ai peur. J’ai vraiment peur de cette obscurité. J’ai peur de tout ce qu’elle peut recéler. J’angoisse au moindre bruit de traine-savate, je m’alarme du moindre grognement aussi lointain soit-il. Cette situation est affreuse, abominable, tellement effroyable. Je suis terrorisé à l’idée d’avancer dans le noir. Car que se passera-t-il si la lampe-torche s’arrête de fonctionner au milieu de nul-part. Non, ce risque est trop important. Cela ne me ressemble pas de le prendre. Je ne peux pas faire un pas de plus sans une roue de secours.

Je frappe à la porte. Elle l’ouvre.

- Vous êtes déjà de retour ? Votre petite famille vous manquait déjà ?

Je ne réponds pas. Je me dois de fouiller dans ces armoires. Il me faut une torche de plus, ou au pire, de nouvelles piles.

- Bien. Exactement ce que je cherchais.

Une lampe-torche du même modèle, en parfait état de marche. En tout cas, lorsque j’appuie sur le bouton, elle s’allume. Mais ce n’est pas parfait pour autant. Cette torche me monopolise une main. Hors, mes mains sont mes armes. Je fouille et farfouille encore un peu dans le foutoir de cette pièce et en ressort un épais rouleau de scotch ainsi qu’un képi de gardien. Tant pis pour le style, je ne pars pas défiler pour Yves Saint-Laurent. Je scotche soigneusement la torche au képi puis le positionne sur ma tête. Malheureusement, l’ensemble est trop lourd et ne tient pas très bien. Qu’importe, je scotcherai le képi à son tour sur ma tête.

- Aidez-moi s’il vous plait. Vous allez recouvrir la casquette de scotch et l’enrouler sous mon menton. Assurez-vous bien qu’il n’y aura plus le moindre endroit de ma chevelure de visible.

J’équipe le masque à gaz puis la laisse me scotcher le crâne. C’est un peu surprenant comme expression, « scotcher le crâne »… Je me suis assis afin qu’elle puisse agir facilement tout autour de moi. Mais elle prend bien soin de ne pas faire le tour lorsqu’elle doit ajouter le scotch dans la partie arrière de ma tête. Non, bien au contraire, elle agite ses seins devant ma figure, si bien qu’elle les écrase parfois littéralement sur mes yeux. Je suis peut-être un peu pervers, mais j’ai bien du mal à croire qu’elle ne le fait pas intentionnellement. Mon seul regret, c’est ce masque à gaz qui gâche un peu la fête. Tant pis, ce sera pour une autre fois. Elle ne manquera pas la prochaine occasion de me séduire.

- Voilà, j’ai fini. Dites-moi si c’est bien ce que vous vouliez.

Enrobé de scotch du menton au sommet du crâne je me redresse et allume la lampe-torche. J’ai pris soin à ce que le bouton soit facilement accessible. Le résultat est efficace. La torche pointe parfaitement mes mouvements de tête. Bref, mes yeux y voient dorénavant clair dans le noir.

- Merci, c’est parfait. Allez, refermez bien derrière vous.

- Oui, oui. Je ne tiens pas à risquer nos vies. Bon courage à vous alors et… Au fait, je m’appelle Cézanne.

Je ne prête pas réellement attention à ce qu’elle vient de me dire. Je ne réponds d’ailleurs pas. Non pas que je veuille la snober, mais je suis concentré sur autre chose. Car rebelote, me revoici dans le parking. Mais cette fois-ci, c’est avec l’esprit un peu plus tranquille car je n’ai pas qu’une marge de sécurité grâce à cette seconde torche, j’ai également une incroyable amélioration à mon équipement.

Mort-vifs, tremblez ! La chasse est ouverte.

26 mai 2014

Mort et Vif - Tome I - Chapitre 32

L’ambiance n’a jamais été aussi calme, et pourtant, il y a comme de la tension dans l’air. Ce n’est certainement pas le petit qui y contribue. Bien au contraire. Ses ronflements sont les seuls à réussir à perturber ce silence de glace. Est-ce la peur des bombardements ? Je ne pense pas. L’hôpital a été bombardé il y a déjà de longues minutes et les derniers bruits d’explosions semblent dorénavant bien loin de notre abri de fortune.

Alors, qui crée cette tension ? Est-ce la façon dont nous évitons de croiser nos regards ? Il est vrai que je ne sais trop comment me comporter. Le moins que l’on puisse dire, c’est que je ne lui ai pas vraiment montré de signes amicaux depuis notre rencontre. Mais lui sauver la vie, en tout cas pour l’instant, n’est-il pas un geste d’une grande clémence ? N’ai-je pas fait bien plus que n’importe lequel de ses amis ? Mais qu’espère-je ? Honnêtement ? Il va de soit que j’aurais préféré continuer l’aventure seul, mais écouter cet enfant dormir me flatte et ce ronflement d’habitude si néfaste à mes oreilles ne fait que caresser mon ego. Car à l’instant présent, je me sens important. S’il dort aussi profondément, c’est grâce à moi. Et alors que je colle un pansement de plus autour d’un orteil pour en soigner la douloureuse ampoule, le léger rictus que je tente de retenir ne laisse plus aucun doute sur ce qui me réjoui : sur ce coup là, j’ai été bon !

Non, le souci ne vient ni de moi, ni du petit. Le trouble-fait, c’est elle. Elle est bien la seule à ne pas se sentir sereine dans l’instant présent. Pourtant, avoir la vie sauve devrait être un motif de satisfaction évident. Mais non, cela ne semble pas lui suffire. C’est qu’il doit y avoir quelque chose d’autre qui la perturbe. Si j’étais d’avantage égocentrique, je dirais que je dois être la source de ce malaise. Après tout, je n’ai pas montré une amabilité débordante à son égard. Mais j’ai bien peur que la raison soit un peu plus sinistre. La première fois que je l’ai rencontrée, elle n’était pas seule. Et la troupe ne comportait pas qu’un enfant. Repense-t-elle à ses défunts enfants ? A son mari disparu ? Ou à ses parents sacrifiés ? Peut-être est-ce l’ensemble ? Les dernières 48 heures n'ont certainement pas dû être de tout repos pour cette famille. Et les rescapés ne peuvent malheureusement survivre en évinçant les souvenirs de tant de proches  disparus. Combien de familles comme celle-ci ont été dévastées en quelques jours seulement ? Alors, n’est-il pas normal que son comportement ne soit pas des plus radieux ? Dans quel état serais-je à sa place ? Ma seule chance n’est-elle justement de ne pas avoir eu de famille, de proches à protéger ? Être seul ne m’a-t-il pas permit de m’en sortir plus facilement que si j’avais été ce père de famille ? Pas de femme, pas d’enfants, pas de famille… Finalement, je n’aurai jamais eu à risquer ma peau pour d’autres et le célibat aura bel et bien été mon salut.

Je baille.

- Merci de nous avoir mis en sécurité. Je pense que nous sommes bien à l’abri ici. Encore merci… Vous pouvez dormir si vous le souhaitez.

- Je compte bien me reposer. Et vous devriez en faire de même, nous ne resterons pas ici éternellement.

- Vous êtes toujours aussi froid ?

- Froid ? Je ne pense pas être froid. Mettez ceci sur le dos de la fatigue. Je n’ai pas vraiment eu l’occasion de me reposer depuis plus de 24 heures.

- Si, vous êtes froid. Ou peut-être êtes-vous intimidé ?

- Intimidé ? Par quoi ?

- Par moi. Pourquoi fuyez-vous systématiquement mon regard ? Vous n’osez me faire front. Avez-vous peur de moi ? Et mon nom ? Pourquoi ne me demandez-vous pas comment je m’appelle ?

Elle a raison. Je l’évite. Volontairement. Car je connais ce genre de femme. La regarder dans les yeux une seule fois suffit à comprendre l’animal. C’est que je les connais bien, ces femmes là. Son regard puissant prononcé par ses yeux de biche, sa façon franche et entière d’adresser la parole, son style direct et incisif en font un chasseur hors pair. Ce genre de femmes sait mener les hommes par le bout du nez. Oh, non pas qu’elle soit ce genre de bombe sexuelle sujet de tous les désirs. Non, c’est bien plus profond et compliqué. Ces femmes disposent d’un charme indéniable qu’elle utilise comme une arme. Lorsqu’un homme tombe dans leur piège, il est fichu. Il devient alors l’outil, le jouet, le souffre douleur… Et le pire, c’est qu’il en redemande, pris dans les griffes de la tigresse. Car c’est bien là la plus grande de leurs forces : ces femmes sont de véritables manipulatrices.

Je me décide alors à la dévisager. Je veux qu’elle comprenne qu’elle ne m’aura pas facilement. Il y a quelques années de ça, je serais tombé dans le piège en un instant. Mais à bientôt cinquante piges, le subterfuge aura plus de mal à passer. Alors je la fixe aussi longtemps que possible afin qu’elle comprenne que je ne suis pas une proie à sa portée. Je ne suis plus un minot de vingt balais en manque de sexe et d’amour.

- Vous ne me faites pas confiance, n’est-ce pas ? Me croyez-vous si mauvaise ? Qu’ai-je donc fait pour réveiller chez vous tant de suspicion ?

Je préfère ne pas répondre pour ne pas rentrer dans son jeu. Son premier tour sera de me mettre en confiance. Puis elle jouera à la frêle damoiselle en détresse, et lorsqu’elle m’aura attendri, elle me fera croire aux merveilles qu’elle pourrait m’offrir en échange d’un peu d’une soumission à peine masquée. Et alors le piège se refermera et elle me mènera par le bout du nez, me faisant prendre tous les risques pour elle, pour son fils, me sacrifiant à mon tour le moment venu. Malheureusement pour elle, j’ai vécu bien suffisamment de situations étranges et burlesques à travers le monde. Et ce n’est certainement pas aux vieux singes qu’on apprend à faire la grimace !

- Voyez-vous cher madame, il n’y a que deux personnes sur terre en qui j’ai confiance. La première, c’est moi, et la seconde, ce n’est pas vous. Inutile de vous offusquer. Je vous ai aidés, vous et votre fils, mais dès le calme revenu, nos chemins se sépareront à nouveau.

- Mais je ne vous ai pas demandé plus que je sache. Je ne comptais pas rester avec vous. Puisque nous ne sommes qu’un lourd fardeau à vos yeux, comptez sur moi pour vous en libérer à la première occasion, Monsieur !

- Hum… Là, comme ça, je dirais que vous le prenez mal... Madame.

Inutile de continuer la discussion plus longtemps. Je suis fatigué, et je n’ai pas à me justifier. Je ne souhaite que dormir maintenant. Le petit banc sur lequel je suis assis n’est pas des plus confortables et j’ai bien du mal à trouver une position décante pour m’endormir. Quand je pense que je devrais être allongé à la place du gamin dans le lit de camp, je me dis que l’égoïsme a parfois du bon.

Je ferme les yeux mais mes oreilles restent grandes ouvertes. Je n’arrive pas à rester serein d’autant que la miss vient de se lever. Elle tente de se faufiler à travers ce tout petit réduit bien plein. Et elle se rapproche de moi. Je l’observe alors. Elle est juste à côté de moi, tentant d’attraper un objet dans l’armoire de fortune contre laquelle je suis adossé. Elle en ressort un blouson qu’elle me tend à ma grande surprise.

- Vous devriez vous couvrir.

Elle n’a pas tord. Le sous-sol n’est pas un frigo mais il n’est pas non plus le sauna que l’on aurait pu croire malgré le napalm.

Je l’attrape et m’en recouvre le buste sans m’en habiller pour autant. J’ai détaché la partie supérieure de ma tenue et je souhaite pouvoir l’équiper rapidement en cas d’urgence.

- Merci. Mais vous devriez la garder pour vous. La température n’est pas plus chaude pour vous que pour moi.

- Si. Ne vous ai-je pas dit que vous étiez froid ? Tout le contraire de moi.

Le petit sourire charmeur qui habille ses lèvres ne trompe pas sur ses intentions. Son petit jeu de séduction a commencé et elle va user de tous ses talents pour y parvenir ! Me voilà prévenu.

17 mai 2014

Mort et Vif - Tome I - Chapitre 31

Cet abri est le pire que je puisse trouver. Quel froid glacial ! Et quelle ambiance digne d’un film d’horreur. Seuls quelques néons scintillant viennent éclairer les murs grisonnants de la pièce. Quelle idée stupide ai-je eu de me réfugier dans la chambre froide de ce restaurant ? Pourtant, cela me paraissait être une bonne idée sur l’instant. « Une cachette bien au frais ! » m’étais-je même esclaffée en y pénétrant. N’importe quoi ! Mais comme bien souvent, je ne vais pas chercher plus loin que le bout de mon nez. Et si ce frigo géant me paraissait la planque idéale pour me protéger de la chaleur des bombardements à venir, je n’avais pas pensé qu’il serait aussi difficile de résister à son froid polaire. Quelle tache je fais ! A quoi sert une formation d’infirmière pour tomber dans un piège pareil ? Depuis quand le corps humain peut-il résister à des températures aussi faibles ? En fait, ma plus grosse bêtise, c’est de m’être précipitée sans prendre de quoi me couvrir suffisamment. Car après tout, les Inuits vivent dans bien pire environnement, et ils n’en meurent pas, eux.

Bah… Arrête de te plaindre ma grande. Inutile de tout dramatiser ainsi. Rappelle-toi la situation d’urgence dans laquelle tu étais quelques minutes auparavant. Vois le bon côté des choses ; le froid atténue la chaleur de mon corps, les battements de mon cœur et l’odeur de mon sang, et la pièce est particulièrement bien isolée pour y dissimuler mes bruits. Bref, les mort-vifs ne sont pas prêts de m'y dénicher. Et c’est déjà ça de pris.

Bon, tout d’abord, se réchauffer ne serait pas du luxe. Avec ce froid, l’hypothermie me guette et je ne tiens pas à finir comme les immondes morceaux de barbaque qui m’encerclent. Fouillons un peu la pièce, car ce frigo n’est rien d’autre qu’une grosse réserve, de la taille d’une salle à manger, pleine à craquer de nourritures s’entassant sur des armoires métalliques de fortune.

Je déniche quelques torchons que j’enroule le long de mes bras et de mes jambes pour les réchauffer mais le plus intéressant, c’est cette magnifique veste de cuisinier, presque propre. Elle a même un col relevé cintré. Quelle classe. Je l’enfile par dessus mes vêtements. Elle est plutôt lourde, en tout cas, beaucoup plus qu’elle ne le laisse transparaitre. Très certainement le fruit de cette maille serrée dont la toile est tissée. Epaisse et robuste, elle pourrait même me protéger d’une morsure de mort-vif sur un coup de chance. Dommage qu’elle ne soit pas à ma taille… Il y a également une toque juste à côté, mais je crois que je vais m’en passer. Bien, tout ceci ne changera pas drastiquement la situation, mais cela atténuera un tantinet le sentiment de « je me les gèle ».

En fouillant d’avantage, au milieu des couteaux, hachoirs, fouets, et autres pelles à tarte, se trouve un masque, du genre de ceux que doivent porter les employés pour ne pas postillonner dans les plats qu’ils cuisinent. Eh bien, il semblerait que ce restaurant se donnait la peine de faire les choses proprement. Encore que… Si les masques sont ici dans la réserve et non pas en cuisine, c’est peut-être bien qu’ils n’étaient pas souvent portés. Mouais, qu’importe, je n’étais pas cliente de toute façon. Ce masque filtrera l’air frais avant que je l’inspire, le réchauffant légèrement au passage. Mes poumons apprécieront.

Schouiiiing ! La porte est en train de s’ouvrir. J’avais pourtant bien pris soin de la refermer derrière moi pour qu’aucun mort-vif ne vienne me chercher ici. Et ces sales bêtes ne sont pas capables d’ouvrir les portes. Leur mécanisme est bien trop compliqué pour leurs facultés psychomotrices. Alors c’est que quelqu’un d’autre est en train de s’introduire ici. Et ce quelqu’un est bien vivant. Dois-je m’en réjouir ? C’est que j’ai appris à devenir prudente ces dernières heures. Peut-être devrais-je me dissimuler le temps d’observer qui cela peut bien être. Oui, c’est ça. Evitons les risques inutiles. Je me fais toute petite et j’observe.

- Allez, encore un effort frangin. Voilà, c’est ça, assied-toi là.

Deux gugusses viennent de faire irruption dans ma tanière, et l’un d’entre eux ne semble pas être dans un bon état. Son acolyte, la vingtaine, l’a difficilement trainé jusqu’ici. Qu’a-t-il bien pu leur arriver à ces deux types ? Comment ont-ils survécu ? Comment sont ils arrivés là ? Et pourquoi l’un des deux est-il blessé ? Car c’est bien là la question la plus importante. Je n’en ai rien à faire de leur vie. Par contre, si le blessé a été mordu, alors il est une bombe à retardement. Dans quelques instants il se transformera, mangera son copain, puis les deux monstres me tomberont dessus dans la foulée. Ce n’est pas tout à fait la pause tranquille à laquelle j’aspirais en m’abritant ici.

Que faire ? J’imagine qu’il est temps d’agir. Je devrais aller les voir pour en avoir le cœur net. S’il a été mordu, je lui mets une balle dans la tête. Et s’il est blessé pour une autre raison, alors…

Alors quoi ? Si je sors et qu’il n’est pas mordu, je pourrai peut-être lui prodiguer quelques soins. Ne suis-je pas infirmière de métier après tout ? Pourquoi voir le mal de partout ? Pourquoi s’en prendraient-ils à moi ?

J’hésite à me montrer. J’aimerais être d’avantage rassurée ? Si je pouvais dénicher d’autres informations, quelque indice que ce soit, alors je me découvrirais moins à l’aveugle. Et puis, j’ai encore fait une grosse bêtise : mon arme est restée sur une étagère proche de la porte d’entrée. Quelle merde !

C’est la panique à bord tout à coup ! Je la sens me parcourir le corps tout entier. Et ces frissons ne sont pas dus aux basses températures qui règnent ici même. Non. J’ai merdé, et je le regrette profondément.

Je ne peux attendre. S’il se relève en mort-vif… Je ne veux l’imaginer. Et puis, le valide commence à fouiller autour de lui. Bientôt il tombera sur mon arme, puis sur moi. Alors il me faut agir. Intelligemment.

J’y vais, j’improvise. Mais je garde mon objectif : savoir s’il a été mordu. Et si tel est le cas, je trouverai un moyen de récupérer mon arme et d’en finir avec lui.

Je me lève d’un mouvement décidé, fais quelques pas dans leur direction et les interpelle alors qu’ils ne m’ont pas encore vu.

- Il a été mordu ? Ton ami, ils l’ont eu ?

Alors que l’homme à terre ne bronche pas d’un iota, son acolyte se retourne immédiatement et me fixe, les yeux écarquillés tel un poisson fris.

- Hey, qu’est-ce tu fous là ? Et tu es qui, toi ?

Je m’approche d’un pas assuré. Je veux qu’il pense que je maitrise la situation. C’est moi qui mène l’interrogatoire, c’est moi qui mène le bal.

- Ce n’est pas la réponse qui correspond à la question que je t’ai posé. Je répète. Il s’est fait mordre ou non ?

Maintenant que je suis à leur portée, sa réponse m’est devenue bien inutile. Malgré le faible éclairage de la pièce, il est clair et limpide comme une énorme marque de morsure sur un avant bras en partie déchiqueté que cet homme ne va pas tarder à se transformer. Ils ne l’ont pas loupé celui-là. Il est foutu et il va falloir envisager la suite du plan : recouvrer mon arme. Et le faire rapidement.

- Et toi ? Tu t’es fait mordre également ?

- Non, non, je vais bien moi. Mais tu es qui, toi ? Qu’est ce que tu fais là ? Tu travailles ici ? Tu es le cuistot ?

Je ne lui réponds pas directement. Je suis la reine qui mène le bal. Et je me dois de continuer à poser des questions pertinentes si je veux garder le contrôle de la situation.

- Quand est-ce arrivé ? Cinq minutes ? Dix minutes ? Une demi-heure ?

- Je ne saurais pas dire précisément. On cherchait une planque à cause des bombardements alors on est descendu et... Tu sais qu’ils vont tout bombarder ? Tu es au courant, hein ? Ils vont cramer les monstres. C’est une super nouvelle, non ? Tu crois que…

- Tu parles trop. Calme-toi. Et ton copain, il parle, lui, d’habitude ? Ou il est naturellement muet ?

- Hey frangin, répond à la miss. Dis quelque chose Ross. Et tiens le coup frangin, je vais trouver un moyen de te soigner, tu sais.

J’ai bien peur que ce soit fini pour lui. Il n’a pas dit un mot, ni même redressé la tête depuis que je me suis montrée. Hum… Je crois qu’il devient urgent de l’exécuter car je ne lui laisse que quelques secondes avant de nous sauter dessus.

Je fais un pas de côté et commence à prendre mes distances tout en me rapprochant de l’étagère où se trouve mon arme, mais il va me falloir ruser. Si le valide se rend compte de mes mouvements suspects, il pourrait compliquer l‘affaire. D’autant que ces deux loustics n’ont rien d’enfants de chœur. Car s’ils sont toujours en vie, c’est qu’ils ont de quoi survivre, et le pistolet que tient l’atrophié n’est certainement pas étranger à leur survie. Occuper le valide pour qu’il ne se doute de rien, pour qu’il ne voit rien venir, sera la bonne tactique.

- Maintient ton frangin, il risque de s’effondrer. Moi, je regarde si je trouve de quoi lui penser sa plaie.

Le jeunot est un peu naïf semble-t-il. Il se rapproche de son frère sans ne prendre aucune sécurité. Est-ce le lien du sang qui rend si crédule ? Je serais surprise qu’il ne sache pas que la transformation ne va pas tarder à s’accomplir. Moi, je le fixe bien du regard cet atrophié. Je ne veux pas être pris au dépourvu lorsqu’il se relèvera en mort-vif. Allez, encore deux ou trois pas de côté et je pourrai me jeter sur mon Famas.

- Gronnnnnnn…

Et voilà, ce qui devait arriver arriva, la transformation a opéré. Ni une, ni deux, d’un dernier bond de gazelle, je saisis mon arme et me retourne tout en m’accroupissant pour bien camper sur mes appuis comme me l’a appris Gordon. Je redresse immédiatement le canon du fusil, vise la tête et….

BOOOOUUUUMMMM ! Zut, plus de lumière. Qu’est ce c’était que ça ? Le bombardement ? Oui, ce fichu bombardement est arrivé au pire des moments. Sous l’impact de l’explosion, tout le bâtiment s’est mis à trembler et les néons de la pièce se sont aussitôt éteints. On n’y voit plus rien. Le noir absolu. Moi, un mort-vif et un paumé isolés dans l’obscurité la plus profonde. Y a-t-il pire situation ?

- Arrrggggghhh ! Rossssss, qu’est ce que tu…

Moi et deux mort-vifs esseulés dans le noir. Oui, comme quoi il y a toujours pire situation. Cette fois, je suis foutue, finie. Tout s’est passé tellement vite que je n’ai pas eu le temps de paniquer. L’effet de surprise le plus total. Je ne m’y attendais pas, c’est le moins que l’on puisse dire. Il y a quelques secondes de ça, je m’apprêtais à faire feu, en position de force face à l’ennemi. Et là, une fraction de secondes plus tard seulement, je me retrouve prise au piège. Les attributions se sont complètement inversées, car la proie, dorénavant, c’est moi.

Le trac me gagne. Il me fige si bien que je suis incapable de bouger. Pourtant, je voudrais bien dégager. Reculer de quelques pas pour prendre mes distances en priant bien fort que le courant revienne. Mais rien ne se passe. Plus aucun de mes membres ne répond. Figée, telle une statue de pierre, comme médusée dans le temps. D’ailleurs, dans l’obscurité absolue, le temps semble s’être arrêté. Plus rien ne vient interrompre cet instant. La seule chose qui pourrait le faire, c’est la lumière. Qu’elle revienne ! Je vous en prie, faites que la lumière revienne. Oh oui, faites-le… S’il vous plait… Je ne peux pas avoir survécu à tant de dangers pour me faire dévorer dans le noir, perdue dans le temps. C’est une fin horrible que de ne même pas voir l’instant de sa mort tout en sachant qu’elle est imminente. Je ne veux pas de ça. Je ne veux pas finir comme ça. Faites quelque chose, je vous en prie. Rallumez cette satanée lumière !

Rien. Aucune réponse. Le néant. En fait si, un son. Le bruit répugnant d’un mort-vif grignotant. Le bruit de la chair sanguinolente se faisant arracher par à-coups. Dégueulasse ! Et bientôt, je serai le prochain festin. Ma chair sera déchiquetée comme celle d’un vulgaire poulet. Deux mort-vifs s’en donneront à cœur joie. Personne ne sera là pour les en empêcher. Ils dégusteront mes lambeaux de barbaque telle de vulgaires charognes, jusqu’à ce que je me relève transformée en mort-vif à mon tour.

Mais qu’il cesse à la fin ! Qu’il cesse de me torturer de ce bruit macabre. Je n’en peux plus de l’entendre se goinfrer comme un porc !

Peut-être est-ce le moment de le faire. Après tout, je n’ai pas besoin d’attendre qu’ils ne m’étripent. Je tiens une arme, une arme à feu. L’objet idéal à retourner contre soit pour mettre fin à ses jours. Il me suffit de la pointer sous ma gorge, en direction du sommet de mon crâne et d’appuyer sur la détente. Une seule balle me sera fatale. Je n’aurai même pas le temps de me voir mourir. Le choc émotionnel sera tel que je tomberai inanimée avant que l’hémorragie cérébrale finisse le travail. Infaillible.

Mais est-ce bien ce que je veux ? Suis-je prête à abandonner maintenant et à plus le revoir ? Lui que je poursuis sans relâche depuis que Gordon m’a faite sortir du parking de l’hôpital. Suis-je certaine de vouloir le laisser à Selma. Elle est une bonne nounou, elle fera une bonne mère, à n’en point douter.

- Grooooonnnnnn….

Il m’a senti ! Il est à deux pas de moi, peut-être trois. Je devrais tenter de déguerpir pour lui échapper. De toute façon, mon corps ne répond plus. Même mettre le canon sous ma gorge m’est impossible. Je suis totalement tétanisée. Rien, pas le moindre geste d’envisageable. Je me demande même si je respire encore depuis la coupure de courant. Mon cœur a dû cesser de battre. Je suis très certainement en apnée depuis plusieurs secondes. Le temps s’est suspendu et il m’a figée avec lui. Je le ressens au fond de moi. Et seuls les morts y sont insensibles.

- Gron, gronnnnnnnn…

Il se rapproche. Le son est plus présent. Me sent-il ? En tout cas, il ne risque pas de m’entendre.

- Grooooooonnn…

Il déambule, il se tourne. Comme s’il ne m’avait pas encore localisée. Est-ce le noir qui le gène ? Non, certainement pas.

- Gronnn, gronnnnnn…

Il ne me voit, et ne me sent pas plus. Est-ce le froid qui masque l’odeur de mon sang ? Ou bien mon cœur a-t-il réellement cessé de battre ?

- Gronn…

Oui, c’est ça, dégage sale monstre. Il s’éloigne. Il ne m’a pas vu, ni senti, ni même détectée. Je ne sais par quel miracle c’est arrivé, mais pour lui, je n’existe plus.

Pouf, je souffle.

- Gronnnnnnnnnnn...

Et je n’aurais pas dû ! Il m’a senti souffler. Oui, bien entendu. Dorénavant il sait que je suis là.

Quelle panique. Des frissons me traversent le dos et viennent mourir juste derrière mes oreilles. Glacial ! C’est horrible, à la limite de l’ulcérant. Mais le pire, c’est le monstre qui se rapproche. Je ne le vois pas, je ne le sens pas, mais je l’entends trainer ses pieds.

Ok. Si c’est ainsi, alors qu’il s’approche encore un peu. Qu’il s’oriente vers moi. Que ses grognements s’alignent avec le bout de mon canon, et je n’aurai plus qu’à faire feu.

- Grooooooonnnnn…

Voilà c’est ça. Viens me chercher saloperie.

- Gronnnn !

Bam ! Dans l’épaule ! Lors du coup de feu, un flash surpuissant a éclairé la pièce un très court instant et je l’ai discerné, à deux mètres de moi tout au plus, se prendre la balle dans l’épaule. Dommage…

Il me reste des munitions. Une bonne quinzaine. J’ai de quoi me le faire. Pas de panique ma grande, on recommence. Vise le son. Attends son nouveau grognement et vise le bien. Le plus précisément possible.

- Gron…

Trop court, trop faible. Ca ne me donne aucun indice suffisant pour l’aligner.

- Mais tu vas gueuler nom de Dieu ! Crie donc !

- GRROOONNNN !

Bam ! Dans l’épaule, encore une fois. La bonne nouvelle, c’est qu’à chaque fois que je le touche, l’impact du coup de feu le fait reculer d’un bon pas. J’arrive ainsi à conserver une distance de sécurité, c’est rassurant.

Mais viser l’épaule indéfiniment ne me mènera à rien. Je dois comprendre ce qu’il se passe. Je tire trop bas et je ne suis pas bien alignée avec sa tête. Il doit bien y avoir une raison. Une raison des plus cartésiennes. Cherche Marlène, cherche à comprendre.

- Gronnnnn…

Bam ! Dans la carotide. Mais vise plus haut Marlène, ce n’est quand même pas compliqué de viser plus haut.

Je n’y arriverai jamais de cette façon. Les balles partent, mais lui me revient inlassablement. Il est temps de tester autre chose. Il me faudrait un moyen de faire feu plus longtemps, de telle sorte que les flashs successifs agissent comme une torche. Ainsi, je pourrais, petit à petit, lui ajuster la tête.

Et je connais la solution. Encore une fois, je vais devoir te remercier, mon cher Gordon. Le mode rafale dont tu m’avais parlé. Il est plus que temps de l’activer. De mémoire, c’est un petit taquet sur le côté de l’arme. Il y a trois crans m’avais-tu dit. L’un pour la sécurité, et à l’opposé, le mode rafale. Alors en avant ma grande. C’est parti pour la rafale.

Baaaaaaammmmmmm ! En pleine tête! Je l’ai eu, ça y est, je l’ai eu. Je ne sais combien de balles ont fusé, mais je suis sûre de l’avoir abattu dans l’œil droit. Je voudrais pouvoir confirmer son exécution mais le noir règne toujours dans cette pièce. Qu’importe, je me sens fière de moi. J’ai su me montrer impitoyable. Je me suis battue jusqu’au …

- Gronnnnnnn…

Ce n’est pas possible ! Je l’ai eu ! Je l’ai vu éclater comme un gros fruit rouge sous les flashs des tirs. Je suis certaine de l’avoir touché là où il faut. Alors… C’est que le petit frère s’est relevé à son tour. Mais quelle merde, je ne m’en sortirai jamais.

« Don’t panic » ma grande. Maintenant, tu connais la technique. Tu mitrailles en rafale tout en visant la tête, une balle finira bien par se loger entre ses deux yeux.

Allez, concentre-toi. Attends le prochain grognement pour cibler le son de sa gueule.

- Gronnnnnn….

Voilà, maintenant. Bbbaaaammmm ! Schlink ! Schlink ! Schlink !

Plus de minutions ! Ce n’est pas possible ! Pas maintenant. Pas ça. Ca ne se fait un coup pareil. Comment vais-je faire maintenant ? Je ne peux même plus mettre fin à mes jours ! Si seulement j’avais gardé une dernière balle pour moi. Si seulement…

Bouge ! Bouge tout de suite Marlène. Les dernières balles l’ont repoussé un peu plus loin, alors profites-en pour te faufiler plus profondément dans la pièce. Essaie de gagner un peu de temps et de trouver une autre solution. Car c’est toujours comme cela que ça se passe ; une solution viable se présente toujours au moment le plus opportun.

Je recule en rampant sur les fesses. J’essaie de faire le chemin inverse afin de retrouver l’endroit où je me cachais lorsqu’ils ont tous deux surgit dans la pièce.

Je bouge prudemment. J’affectionne d’être discrète. Surtout, qu’il ne m’entende pas. Ne pas prendre le risque de se faire repérer. Je me déplace tel un chat, mes paumes de mains atténuant les bruits de chacun de mes gestes.

- Gronnnnn…

Mais il ne m’abandonne pas pour autant. Il grogne car il me cherche. Il m’a détecté un peu plus tôt et il ne m’a pas abandonnée pour autant. Oh non. Je les connais bien les mort-vifs. Lorsqu’ils ont ciblé une proie, ils ne la lâchent plus. Alors il n’y a aucune raison que celui-ci échappe à la règle. Peut-être que les conditions jouent en ma faveur. Peut-être que ma température corporelle ayant chutée lui complique la tâche. Peut-être qu’il espère le retour de la lumière au moins tout autant que moi.

Qu’importe. Je suis bien en vie, mais mon arme n’est plus utilisable. Alors il me faut autre chose. Il me faudrait…

Zliiiinnnggg. Des grésillements… Les néons ! La lumière ! Enfin, la revoilà ! Maudite lumière. Tu n’es pas très intense, mais que ton retour me remonte le moral.

Je le vois ! A trois ou quatre mètres, pas plus. Il est de dos pour l’instant. Profites-en pour dégager. Recule, cache-toi, camoufle toi derrière ces étagères. Fais-toi oublier Marlène. Et prie pour qu’il ne te voit pas. Oh oui, prie fort, très fort.

Zut, il se retourne ! Et il m’a vu. Instantanément, je me décale derrière l’étagère pour me protéger mais il se jette sur moi comme un chien enragé et bouscule le meuble qui me tombe dessus et me maintient au sol de tout son poids.

Je ne comprends plus très bien ce qu’il se passe. Tout s’est déroulé tellement vite. Je ne m’attendais pas une seconde à ce qu’il agisse aussi spontanément.

Et maintenant, il n’est qu’à quelques dizaines de centimètres de moi. Seule une étagère nous sépare, et me protège pour l’instant de sa morsure et de ses doigts crochus qui tentent de m’agripper.

Je ne sais pas combien de temps il va s’agiter comme cela au dessus de moi, mais il m’est impossible de lui échapper. Je suis coincée, bloquée par le poids du meuble et du monstre qui s’est avachi dessus. Jamais je ne me dégagerai. Et c’est peut-être mieux ainsi, car cette étagère, aussi peu solide puisse-t-elle paraitre, est le dernier rempart entre ce monstre et ma chair. Alors, pourvu qu’elle tienne, car plus il force pour me croquer et plus elle se déforme sous le poids de ses gesticulations.

- Arhhh ! Lâche-moi sale monstre !

Il vient de m’agripper le bras gauche et s’en sert pour se hisser au plus près de moi. Il n’a jamais été aussi proche. Et l'étagère qui plie petit à petit…

- Ahhh !

Il m’a mordu ! Ce salopard m’a mordu l’avant bras. Ca y est, je suis finie. Je me suis fait avoir à mon tour. Finalement, j’aurai échoué. Pourtant, Dieu sait le mal que je me suis donnée. Je n’ai pas compté mes efforts pour te retrouver mon fils.

Excuse-moi Chris. Je suis désolée, et tellement triste de savoir que je ne te verrai plus jamais. Je suis tellement déçue que ta mère ne soit pas à la hauteur de la situation. Excuse-moi de pleurer Chris. J’espère que vous aurez plus de chance que moi, toi et Selma.

- Ahhh !

Mais ce salopard me mord de nouveau.

- Aïeuuuu ! Mais tu vas arrêter de t’acharner sur mon bras !

Dans quelques minutes, je ne serai rien d’autre qu’un sale monstre à mon tour. Alors à quoi bon lutter. Car ni les sanglots, ni le stress ne parviennent à changer ma personnalité. Et tant que je ne serai pas un mort-vif, je continuerai de me plaindre et d’insulter ce monstre. Je laisserai la rage en moi guider ma voix et mes actes. Et si les dernières minutes qui me restent d’humains sont contrôlées par ces sentiments, alors je vais m’en donné à cœur joie. Je vais l’insulter des pires mots, le haïr de toute mon âme… et le buter de ce couteau de cuisine. Plus qu’à l’attraper.

- Enfoiré ! Tu m’as eu, mais tu ne t’en sortiras pas ainsi. Je ne serai pas la seule à perdre. Je suis bien trop mauvaise joueuse pour accepter la défaite.

Je le tiens, ca y est. J’ai tendu mon bras droit aussi loin qu’il m’était possible de l’allonger, à m’en retourner les ligaments, et je l’ai capté d’une main ferme. Je n’ai pas eu besoin de m’y prendre à deux fois.

- Tiens ! Prends ça, sale chien galeux !

Et que je lui transperce l’épaule, le cou, le bras, et la tête. Combien de coups puis-je bien lui asséner ? Aucune idée. Sous l’effet de la colère, mes forces sont décuplées, et je ne m’interromprai que de fatigue. Lorsque le simple fait de sortir le couteau de sa chair abjecte et nauséabonde deviendra aussi difficile que de lui replanter la lame une énième fois.

- Plouick ! Tiens, ce coup là, c’est pour mon fils…

Encore et toujours, j’y retourne sans relâche. Ce mouvement de va et viens en est devenu machinal. Tel un robot d’une chaine d’assemblage répétant sans cesse la même et unique action. Planter, retirer, planter, retirer…

- Planter ! Je te haïs sale monstre ! Je haïs tout ce que vous me faites vivre depuis vingt quatre heures.

Retirer la lame, puis la planter de nouveau. Et je récidive encore une fois. Car il est toujours possible de recommencer le mouvement une ultime fois. D’ailleurs je n’imagine pas qu’il y ait de dernière fois. Même transformée en mort-vif, je suis certaine que je continuerai ce geste.

Mais là, j’étouffe. Trop de poids sur mon torse. J’ai un mal fou à respirer. A moins que ce soit les premiers effets de la mutation ? Ca doit être ça, je meurs donc j’arrête de respirer. Petit à petit, il devient plus difficile d’aspirer de l’air frais. Mon cœur doit être le premier à se rendre. Puis viendra mon cerveau quand il ne sera plus suffisamment irrigué d’oxygène. C’est donc ça, la fin.

Fin ou pas, je n’en peux plus d’étouffer. Il semblerait que mon corps n’est pas encore abdiqué et qu’il ne demande qu’à vivre encore quelques minutes de plus.

Est-ce l’instinct de survie ? Peut-être. Mais toujours est-il qu’il me faut pousser le monstre et l'étagère qui m’écrasent. Je commence à me libérer les deux bras puis tente de pousser le monstre de toutes mes forces du côté où penche le meuble. Mais il ne bouge que très peu. Il est d’un poids redoutable pour mes frêles petits bras.

Ca ne fonctionne pas. inutile d’insister. Si je ne parviens à les repousser, alors peut-être pourrais-je me dégager, même partiellement. Si je réussissais à me hisser un tantinet hors d’eux alors je pourrai enfin reprendre une bonne bouffée d’air frais. Car oui, l’air est frais ici, et pas besoin de crever pour le sentir.

J’attrape alors le pied d’un meuble juste derrière moi. Je l’agrippe bien fermement tandis que je me prépare à pousser l‘étagère de mon autre bras. Je l’ai placé de façon à faire levier avec mon coude. Je dois réussir à le lever ne serait-ce qu’un rien pour pouvoir me hisser de l’autre bras.

-Allez, pousse Marlène ! Poussseee !

BOUUUMMMM ! Encore un bombardement. Et celui-ci était plutôt destiné à un autre quartier de la ville. Par contre, les tremblements ont été tellement forts que je les ai ressentis jusqu’ici et qu’ils m’ont bien aidé. Car j’y suis presque. Je suis certes toujours bloquée, mais j’ai bien dû me libérer d’une dizaine de centimètres. Et je respire. Enfin. J’avale une énorme bouffée d’air frais.

- Poufffff.

Je ne pense plus à rien. Je ne fais que respirer à m’en exploser les poumons. Malgré la gorge serrée, l’air s’infiltre sans problème. Quelle renaissance.

Enfin, quand je dis renaissance… renaitre en mort-vif n’est pas exactement la résurrection la plus désirée. Et ce bras justement. Car s’il m’a bien rongé le bras, cela ne m’a pas empêché de m’en servir pour m’extirper. Je m'apprête à découvrir une morsure aussi terrible que répugnante mais...

- Nickel ! Il est impeccable ce bras. Par contre, le cuistot risque de faire la gueule quand je lui rendrai sa veste. Oh, je suis sûre qu’il ne m’en voudra pas.

Et je souris. Je ne peux m’empêcher de sourire, de sourire au destin. Entre le bombardement salvateur et la veste protectrice, il faudrait être aveugle pour ne pas y voir un signe du destin. Le genre de signe qui donne envie de s’accrocher à la vie.

C’est indéniable, je ne suis pas prête d’y passer, moi. Et je doute que le destin me garde en vie pour rien. Non, s’il me protège ainsi, c’est qu’il me veut du bien. Et mon bien, c’est mon fils.

- Soyez forts tous les deux, car maman arrive plus forte que jamais.

Enfin… Quand je serai définitivement sortie d’ici.

3 mai 2014

Mort et Vif - Tome I - Chapitre 30

La ville semble avoir repris un semblant de vie normale. Non pas qu’elle soit redevenue la bourgade calme et tranquille qu’elle était parfois, mais cela faisait bien longtemps que je n’avais entendu autant de vacarme en ses rues. Aberdeen est une ville active, et non pas un village de rase campagne. Klaxons, cris, coups de feu… Le moins que l’on puisse dire, c’est que la directive des militaires est un véritable échec. « Restez cachés dans les caves », avaient-ils dit ? Les gens semblent ne pas aimer les caves. Ou peut-être n’en ont-ils pas trouvées ? Allez savoir.

Qu’importe. L’heure est grave. Je ne progresse que trop lentement pour atteindre le port. D’ici un quart d’heure, les hélicoptères de l’armée viendront pulvériser leur napalm sur la ville et je finirai en sardine grillée. Inacceptable !

Il me faut réfléchir à une autre alternative. Si je ne peux rejoindre le port maintenant, je le ferai un peu plus tard, car définitivement, prendre la mer est la seule issue viable. Mon erreur, c’est d’avoir cru que je réussirais sans prendre la moindre marge de manœuvre. Pourtant, je suis bien placé pour savoir que les choses ne fonctionnent jamais du premier coup. C’est la base même de mon job. Pourquoi fait-on appel à des ingénieurs en tuyauterie alors que les plateformes sont déjà montées. Tout simplement car les plans initiaux sont bien souvent pondus en dépit du bon sens. Ils sont dessinés en urgence afin d’obtenir les fonds nécessaires à la suite des opérations au plus vite. Alors une fois montée, la plateforme nécessite d’être améliorée, pour ne pas dire, d’être réellement finie. Au final, tout cela coute deux fois le prix que cela aurait couté si l’on s’était donné la peine de prendre le temps de bien travailler d’entrée de jeu. Mais voilà, aujourd’hui, j’ai commis la même erreur. Je me suis précipité pour obtenir la suite du projet en quelque sorte, sans prendre le temps d’en peser les risques et sans aucune marge. Quel idiot je peux être parfois !

Quitte à subir le bombardement, autant le faire à l’abri,

25 avril 2014

Mort et Vif - Tome I - Chapitre 29

Ce petit scooter électrique, aussi mignon et discret soit-il, n’avance que très lentement, il faut bien le reconnaitre. De toute façon, le brouillard est devenu tellement dense que j’aurais bien du mal à rouler à vive allure. Il me fait paniquer, ce brouillard. Voir d’éventuels mort-vifs au dernier moment n’est vraiment pas pour me rassurer et puis, zigzaguer entre les véhicules à l’arrêt ne fait que me complexifier la tache. Chaque silhouette mouvante, chaque son de grincement, ne font que me crisper un peu plus sur le guidon.

J’ai peur, peur de cette brume. Peut-être même d’avantage que des mort-vifs. Pourtant, j’étais parti la fleur au fusil, sûre de moi, avec un objectif et des moyens. Mais soyons honnête, ce plan ne fonctionne pas. Je suis extrêmement tendue sur le scooter. J’avance au ralenti et chaque bruit ou mouvement suspects me font m’arrêter pour pouvoir dégainer mon arme. A ce rythme, je mettrai une éternité à rejoindre le port. Et les militaires, eux, ne m’attendront pas. Non, décidemment, c’est une bien mauvaise configuration qui ne me met pas à l’aise pour un sou. J’abandonne !

- Bye bye, mignon scooter ! Ta batterie n’aurait pas tenue jusqu’au port de toute façon.

Et eux ? Comment ont-ils bien pu se rendre au port à moto ? Je ne suis même pas arrivée à faire 200 mètres ! Je devrais…

Quelqu’un court dans le brouillard. J’épaule mon arme d’un geste réflexe et le suit du bout du canon, mais il ne vient pas vers moi. Non, il est traqué. Deux, trois peut-être quatre mort-vifs le suivent. Il est foutu. Ils ne le lâcheront pas. A cette vitesse, il s’épuisera bien avant eux. De plus, il panique. Sa course est hachée, il se retourne sans cesse pour observer ses poursuivants. Il est cuit. Devrais-je l’aider ? Après tout, les mort-vifs sont à ma portée, au bout de mon arme. Je n’ai qu’à appuyer sur la détente. Là, maintenant. Et je pourrais lui sauver la vie… pour l‘instant en tout cas. Mais je ne le fais pas. Et je ne le ferai pas. Je n’ai pas suffisamment de munitions, ni l’envie d’attirer les mort-vifs, et encore moins celle de prendre des risques pour quelqu’un que je ne connais pas. Non, peut-être suis-je définitivement égoïste, mais cette fois-ci, je la joue solo. Après tout, qui me viendra en aide, lorsque ce sera mon tour d’être dans le besoin ? Personne ! D’ailleurs, y-a-t-il déjà eu quelqu’un qui me soit venu en aide, ne serait-ce qu’une seule fois ? Certainement pas…

- Eh zut ! Gordon ! Tu m’emmerdes vieux boiteux ! A cause de toi, je vais devoir aider ce pauvre type !

C’est ainsi que les choses vont, n’est-ce pas ? Recevoir puis redonner à son tour ?

Allez, en hommage à ce brave homme, c’est à mon tour d'assister une personne en détresse. J’espère au moins qu’elle le vaudra autant que je le valais.

Je redresse mon arme pour viser avec précision. Je retrouve mes cibles. Et lui ? Où est-il ? Perdue dans mes pensées, concentrée sur les monstres, j’en ai oublié leur proie. Pourtant, il ne devrait pas être bien loin, là, quelque part sur la gauche.

Ok, trouvé… Trop tard. Peut-être ai-je trop trainé à lui venir en aide. Les mort-vifs sont implacables. Une seconde d’inattention et vous êtes dévorés. D’ailleurs, ces bruits de savates qui raclent le sol derrière moi ne me disent rien de bon.

Avec l'agilité d’une tigresse, je me retourne illico presto, pointe le macchabée, puis lui décoche une balle entre les deux yeux. C’est que je suis devenue bonne là-dedans. Peut-être était-ce ma vraie vocation : exterminatrice de mort-vifs. Bah… Ma vocation première, c’est avant tout de m’occuper de mon enfant. N’est ce pas la vocation première d’une mère ?

Mais je divague. J’ai un autre problème bien plus important : j’avance à la vitesse d’une tortue.

Je reprends alors ma course en direction du port. Je continue d’avancer entre les véhicules. Ils sont moins dangereux que les trottoirs. Eux, je les déteste. Du moindre recoin peut surgir un mort-vif. Ils sont tellement fourbes. Les voitures ne sont pas beaucoup plus sûres, mais au moins, je peux éviter celles avec des portes ouvertes et des cadavres à l’intérieur. Dès que je m’approche d’une auto, j’y jette un coup d’œil à travers le pare-brise. S’il n’y a rien de louche, je passe à côté. Au contraire, si une forme ressemble de près ou de loin à un corps humain, je passe par-dessus. J’escalade le capot puis traverse l’engin de tout son long. Et lorsque j’atteins le bout, il m’arrive même de sauter directement sur un autre capot. C’est épuisant mais tellement plus rassurant.

Mais la seule chose qui compte, c’est l’horloge. Et elle semble être bien plus rapide que moi. Normalement, la gazelle, c’est moi. Mais l’horloge a inversé les rôles. Elle est rapide et tenace, et moi, je ne suis que le léopard qui tente de la rattraper. Et à ce petit jeu, le chasseur est parfois poussé au jeûne.

Hors de question que cela m’arrive, car la diète signifierait la mort pure et simple. Alors il me faut sprinter dare-dare et rejoindre cette satanée gazelle.

Il suffit de se motiver légèrement pour accélérer la cadence. C’est efficace. Mais quand le diable s’en mêle, la motivation n’a plus beaucoup d’utilité. Car une fois arrivée un peu plus loin sur l’avenue, un énorme bus en travers du chemin me stoppe net. Et pas n’importe quel bus, le 34 ! Décidément… Mais pour être plus précise, ce n’est pas tant le numéro du bus qui m’interpelle que les dizaines de mort-vifs à l’intérieur qui gesticulent lamentablement. Par chance, je suis encore suffisamment éloignée et je doute qu’ils ne m’aient repérée.

Mais par où passer ? Contourner le bus en me faufilant entre le mur et la cabine me parait très aventureux. S’approcher du bus est tout simplement risqué ; ils me sentiront, et alarmés par ma venue, me prendront en chasse. Mais ai-je d’autre choix ? Le constat est des plus limpides : la rue est bloquée par cet énorme véhicule et le contourner en est la seule issue. Et si je ne peux le franchir par les côtés, alors me faudra-t-il lui passer sur le corps. Après tout, un bus n’est rien de plus qu’une grosse voiture.

Je fais quelques pas de plus dans sa direction pour trouver un moyen de grimper sur son toit. Car il est bien trop élevé et un relais pour l’escalader me serait d’une aide précieuse. Et cette camionnette de livraison me parait être le plus efficace des escaliers pour me hisser sur le bus.

Ni une ni deux, je saute sur une petite Toyota blanche en aval afin de me faciliter la montée du petit camion de livraison, puis rejoins aisément son toit. Je peux dorénavant m’avancer jusqu’au bord du petit camion.

Je prends quelques secondes pour visualiser l’ensemble. J’ai besoin d’une vision globale de la scène. Perchée sur le toit de la fourgonnette, je ne risque rien pour l’instant. A quelques pas de moi, le bus et ses passagers, l’air abruti comme toujours, déambulant péniblement entre les allées et les zones sans siège. Les voir ainsi me donne la chair de poule. Enfin, ce qui me glace le sang, c’est surtout le vrombissement de leur grognement. Un énorme bourdonnement, rauque, lent et continu vient déchirer le silence qui pesait dans cette rue. Cela me rajoute une pression supplémentaire, à n’en point douter. Mais je suis passée par pires épreuves. Alors, plus qu’à prendre un peu d’élan et bondir sur ce fichu bus.

- Allez, ma grande, à 3, tu sautes !

Je prends quelques petits pas d’élan, limitée par la petite surface que m’offre le toit de la camionnette puis, d’une envolée digne d’un léopard, rejoins le sommet du bus dans un fracas du tonnerre, la surface métallique du véhicule faisant résonner et amplifiant le son de l’impact de ma réception. Et en réponse à cette injonction, un autre son bien plus impressionnant résonne alors le long de l’avenue.

- GRRRRRROOOONNNNNN…

Et c’est en me redressant que j’en découvre la source. Car ce ne sont en aucun cas les macchabées du bus à l’origine du bourdonnement, mais bien la foule de mort-vifs entassés de l’autre côté de l’obstacle qui vient, par son grognement, me confirmer qu’elle m’a bien détectée. Ce fichu 34 n’était rien de plus que l’arbre qui cachait la forêt.

Outch ! Un sentiment de panique me traverse le corps. Car autant dire que je ne les avais vus venir ceux-là. Inutile de tergiverser. Le pire des obstacles n’est pas le bus mais bel et bien cette foule de mort-vifs. Car si je pouvais envisager d’enjamber le bus, je ne vois pas, ne serait-ce qu’un seul instant, de moyen immédiat de traverser cette marée monstrueuse.

Demi-tour, illico presto. Rester sur le toit revient à les provoquer. Et les provoquer signifie les affronter. Combat perdu d’avance. Je bats en retraite.

Je redescends du bus en me laissant glisser le long de sa paroi. Mauvaise idée. Les mort-vifs à l’intérieur m’ont dorénavant dans le collimateur. Et ils commencent à s’exciter sur les vitres. Pourvu qu’elles tiennent bon.

Je gambade de gauche à droite dans la rue à la recherche d’une idée. Vite, car il me faut trouver une solution, une issue de secours. Il devient dorénavant évident que je ne rejoindrai jamais le port à temps. Alors peut-être que le moment est venu de suivre les conseils des militaires : s’enterrer.

Mais où ? Et comment ? C’est que je ne la connais pas cette avenue. Les bâtiments ici ne me sont en rien familiers. A la rigueur, dans ma rue, j’aurai pu me rendre dans une boutique que je fréquente régulièrement. Avec quelques repères, je saurais trouver ma voie. Mais là, dans l’urgence, prise dans un mouvement de panique aussi soudain qu’extrême, jamais je ne trouverai la force de réfléchir à une issue favorable.

Non, décidemment, ce n’est pas pour moi ce genre de situation. La pression, je ne sais la gérer. Alors je me mets à pleurer. Non pas que j’abandonne, ni même que je souffre. Non, rien de plus qu’un réflexe inconscient. Je panique, donc je pleure.

- Biiinnng !

Un son de vitre brisée me rappelle à la réalité. Et ce son n’est certainement rien de plus que quelques mort-vifs ayant réussi à casser l’une d’entre elles. En temps normal, je me retournerais pour bien observer l’étendue des dégâts. Mais là, c’est totalement futile. Non, je dois dénicher une porte de sortie.

- Maintenant !

Je cours dans la première boutique, et en ouvre la porte d’entrée avec précaution. J’avais auparavant, tout en me rapprochant de la devanture, tenté d’observer l’intérieur. Aucun mouvement suspect.

Tout en pointant mon arme de la main droite, je pousse la porte de main gauche. C’est un restaurant. Une pizzéria pour être juste. Et une grande d’ailleurs. La salle principale propose de nombreuses tables, mais je ne suis pas venue déguster une Margarita. Un restaurant comme celui-ci doit bien posséder une cave, une réserve pour stocker ses nourritures, non ?

- Allez, regarde bien Marlène ! Et commence à chercher les cuisines.

Je tente d’avancer prudemment, mais j’ai tellement peur d’être rattrapée par les mort-vifs du bus que j’accélère mes mouvements à contrecœur. La moindre de mes actions est deux fois plus rapide que d’accoutumée. C’est que le temps presse. Et il n’y a pas que les mort-vifs qui m’en veuillent à présent. Bientôt, une flotte d’hélicoptères viendra bombarder la ville et…

Les cuisines, enfin ! Les voilà. Pas un bruit, pas un chat. Une porte, à l’autre bout de la pièce. Je me jette dessus. Elle est fermée à clé. Impossible de l’ouvrir. A travers la vitre grillée, je semble apercevoir l’arrière cours, ou bien une ruelle. Bref, cette porte mène dehors, et ce n’est certainement pas là que je souhaite me rendre.

- Fichue réserve, où te caches-tu ?

J’ai beau me frotter les yeux pour en retirer les larmes, je ne vois rien qui ressemble à une porte menant à une cave. Il y a bien cette mince porte en bois entrouverte donnant sur le débarras à balais, mais elle sera la première à bruler de milles feux lorsque le napalm rentrera dans cette pièce.

Alors, suis-je foutue ? Destinée au bucher ?

- Bong !

Un autre son de vitre. Mais cette fois-ci, elle n’a pas encore lâché. Certainement la meute qui se rapplique et se colle à la devanture tels des mouches. Combien de temps tiendra-t-elle ?

Qu’importe, je suis foutue de toute façon. Au moins, j’ai le choix de ma mort. Tout le monde n’a pas cette chance. Les mort-vifs ? Ou le brasier ?

- Reprends-toi Marlène !

L’entrée de la cave est peut-être dehors. Depuis cette porte qui mène à l’extérieur. Que je me donne la peine de regarder au moins.

Bam ! Je mets une balle dans la serrure pour l’ouvrir. Après tout, que ferai-je de mes munitions une fois morte. Alors autant s’en servir.

Une courette, close par du grillage. Rien de plus. Ni trappe, ni porte. Aucune issue supplémentaire si ce n’est cet étroit portillon à travers le grillage menant dans la rue. Alors, à quoi bon tout ce grillage s’il n’y a rien de plus à protéger ? Il y a bien cette énorme climatisation… Elle me rappelle celle de l’hôpital, celle de la chambre de froide où l’on stockait le matériel sensible comme les vaccins, les échantillons de virus, les poches de sang…

- Où te caches-tu ?

Une chambre froide n’est-elle pas l’abri idéal pour se protéger d’un brasier ? Je retourne aussi sec dans la cuisine. Je traverse la pièce d’un coup d’œil panoramique. La voilà, l'entrée du frigo. Car une chambre froide n’est rien de plus qu’un énorme frigidaire. Je bondis dessus et en tire la grosse poignée horizontale. Cette chambre froide porte bien son nom. Derrière cette petite porte métallique se dissimule une pièce tout entière.

Je respire un grand coup et ne peux m’empêcher de révéler un léger rictus, car cette fois-ci, mon salut semble être arrivé à point nommé. Quand aux bombardements, ils ne sont pas près de me griller car j’ai déniché une cachette, bien au frais.

 

Publicité
1 2 3 4 5 > >>
Publicité
Pages
Archives
Publicité