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Mort et Vif - Des zombies, des hommes et un nouveau chapitre chaque semaine
Mort et Vif - Des zombies, des hommes et un nouveau chapitre chaque semaine
  • Mort et vif à la fois, comment est-ce possible ? Suivez les histoires de personnages communs et hors du commun à travers un monde infestés de morts vivant. Lorsque la situation devient extraordinaire, certains personnages se révèlent l'être tout autant.
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15 août 2014

Mort et Vif - Epilogue

Libéria, Afrique de l'Ouest. Camp sanitaire de Médecins Sans Frontières. 24 juillet 2014, soixante treize jours avant le début de la contamination.

- Nom de Dieu, Peter, tu vas bien vouloir m'écouter ? L'épidémie est hors de contrôle, tu comprends, hors de contrôle. Tu dois prévenir l'OMS. Et en urgence !

- Je n'ai cessé de les appeler mais ils ne me croient plus maintenant. A chaque épidémie de fièvre Ebola, c'est la même chose. Ils savent bien qu'il n'y a rien à faire d'autre que d'attendre que les ONG sur place fassent le travail. Et c'est ce que tu fais très bien Claire. Ou en tout cas, c'est ce que tu faisais très bien jusqu'à présent.

- Comment ça, "jusqu'à présent" ? Tu ne vas tout de même pas me débarquer ?

- Je crois que tu as besoin de repos. Tu es sur les nerfs depuis quelques temps déjà. Reviens parmi nous te ressourcer, cela te fera le plus grand bien.

- Mais qu'est-ce que tu me racontes là ? Je t'annonce que l'épidémie est hors de contrôle, et toi, tu me proposes de prendre des vacances ? Mais tu as perdu la tête Peter ?

- Un peu de respect s'il te plaît ! Laisse-moi te rappeler que je suis ton supérieur. Claire… Evitons de monter le ton, tu veux bien ? Soyons lucides. L'OMS ne fera rien de plus pour l'instant. Ils m'ont encore envoyé valser la semaine dernière. Ils rétorquent qu'ils ont leurs propres agents sur place et qu'ils n'ont pas le même point de vue de la situation que nous, ici à MSF. Que veux-tu que je leur dise de plus ?

- Je ne sais pas moi, c'est ton travail, pas le mien. Dis leur que le Docteur Janssens l'a lui-même annoncé sur son compte Twitter. S'ils ne nous font pas confiance, peut-être l'écouteront-ils ? Ou bien dis-leur que plus de cinq cent personnes sont déjà mortes ici. Combien en décompteront-ils avant d'agir ? Mille ? Dix mille ?

- Peut-être plus… Qui sait ?

- Mais enfin Peter, l'épidémie a déjà passé les frontières de la Guinée, du Nigéria, de la Sierra Leone et maintenant du Libéria. Tu connais ces populations, elles ne tiennent pas en place. Guerres, famines, sécheresses, funérailles… Tout les pousse à bouger. Et la fièvre avec elles. Si nous ne les cloisonnons pas maintenant, si nous les laissons se disperser dans la nature, nous compterons des milliers de morts. Et nous ne pourrons plus contenir la diffusion du virus.

- Je sais tout ça Claire. Tu prêches un convaincu. Mais comme à chaque fois, il faudra attendre que le virus frappe à la porte de nos pays pour qu'ils agissent.

- Et les malades ici alors ? Ils n'ont qu'à crever, c'est ça ?

- Oui, et c'est bien pour cela qu'on existe. Nous sommes là-bas pour faire le sale boulot que l'OMS refuse de prendre en charge.

- Quelle classe…

- Tu sais tout ceci aussi bien que moi, Claire. Ne jouons pas aux innocents et aux naïfs maintenant. Il est trop tard pour se plaindre.

- Pouff…

- Je persiste à penser que tu devrais rentrer. Je te désaffecte du poste à compter d'aujourd'hui. Demain, tu prends le premier vol pour Paris.

- Mais tu ne peux pas faire ça. Qui va faire mon job sur place si je pars ?

- Ne t'inquiète pas, Jean-Michel te remplacera.

- Jean-Michel…

- Et je te promets de recontacter l'OMS dès demain. Mais sans nouveaux arguments, je connais déjà leur réponse.

- Malheureusement… Attends une seconde s'il te plaît, j'ai un appel sur l'autre ligne. Oui, allô ? Je vous écoute. Non ? Ce n'est pas possible ! Merci de m'avoir prévenue. Au revoir. Peter ? Peter, tu es toujours là ?

- Oui Claire, je n'ai pas bougé, comme tu me l'as demandé. Que se passe-t-il ?

- Tu voulais du neuf ? Sheik Umar Khan est mort. Même lui n'a pas résisté. Si le spécialiste chargé de contenir la maladie est tombé au combat, peut-être que l'OMS comprendra l'urgence de la situation, non ?

- Ok, je les appellerai demain matin, à la première heure. Mais cela me conforte dans l'idée que tu dois rentrer. Et pas seulement pour te reposer, mais également pour te protéger. Si tu restes sur place, tu es…

- Je ne suis pas encore foutue Peter. Ne t'en fais pas pour moi. Fais ce que tu as à faire au plus vite et tiens-moi au courant.

- Rentre s'il te plaît. Ne me force pas à te l'ordonner.

- Je suis déjà sur le départ Peter. Au revoir.

- Prend soin de toi Claire. Et à très vite sur Paris.

Poufff… S'il croit que je vais rentrer au bercail comme un petit bobo parisien, c'est qu'il me connait bien mal. Ma place est ici auprès des gens qui en ont besoin. Mais il a raison sur un point : je dois prendre mes précautions, et me protéger plus que jamais.

Mais indéniablement, j'ai reçu un coup au moral. C'est que je ne m'attendais pas à me faire débarquer de mon poste. Nous ne sommes pas si nombreux à pouvoir le prendre, et, même si je ne doute pas des compétences de Jean-Michel, force est de constater que depuis plus de dix ans, je suis bien la plus expérimentée et la plus capable des médecins de faction de l'organisation pour ce genre de situation. Alors si Peter a pris une telle décision, s'il tient tant que ça à me voir revenir à Paris, c'est qu'il me cache certainement quelque chose. Peut-être ne m'a-t-il pas tout dit ?

Bah… Qu'importe. Plus qu'une dernière nuit à passer ici, alors, je préfère me perdre dans mes pensées. Des pensées inquiétantes et tristes à la fois. Car si nous n'arrivons à contenir une épidémie qui n'a fait que quelques centaines de morts, comment ferons-nous le jour où l'une d'entre elles en fera des centaines de milliers ?

Toc, toc, toc. On frappe à la porte de ma chambre.

- Qui est-ce ?

- C'est moi, c'est Maria.

- J'arrive Maria. J'arrive…

Je suis un peu surprise. Il est rare que Maria vienne me déranger à une heure tardive. Elle est plutôt du genre casanier. Dès la nuit tombée, une tisane et au lit. C'est ça son rythme habituel, mais ce soir, elle doit être perturbée, d'autant qu'elle ne cesse de frapper à cette porte.

-  Oui, me voilà Maria. Alors, que vous arrive-t-il ma chère ?

- Madame Austin, je m'excuse de venir à cette heure-ci, mais un nouveau malade est arrivé et…

- Et bien, mettez-le en quarantaine avec les autres, comme d'habitude.

- C'est-à-dire que celui-ci est un peu différent. Il faudrait que vous veniez voir.

- Comment ça, "différent" ?

- Je vous en prie Madame Austin, vous devez venir voir. Il n'y a que vous ici qui pourrez dire.

- Ok, très bien. Laissez-moi dix minutes, le temps de m'équiper puis je descendrai vous rejoindre. Où l'avez-vous placé ce malade ?

- Il est toujours dans la cours, Madame.

- Dans la cours ? Mais pourquoi ne le faites-vous pas entrer sous la tente ?

- Il faut le voir… Il est différent… Et les hommes n'osent pas l'approcher vous savez. Ils ont peur.

Je suis piquée dans ma curiosité. Qu'a-t-il bien pu arriver à cet homme pour le rendre si différent ? C'est que des cas atteints de maladies graves, j'en ai vus dans ma carrière. Et des pleines brouettes malheureusement. Alors, celui-ci… Raison de plus pour bien s'équiper. Se protéger, c'est la clé de la survie à MSF.

- Ca y est Maria, je suis presque prête. Je prendrai un masque en bas en passant devant le labo. Nous pouvons y aller.

Elle m'emboite le pas pour me montrer le chemin. Elle n'est pas descendue comme je lui avais demandée.  Pourtant, je connais le trajet. C'est un peu chez moi ici. Nous descendons l'escalier extérieur et rejoignons le secteur des tentes. A l'intérieur s'y trouvent les malades atteints de la fièvre Ebola. Certains viennent tout juste d'arriver, d'autres sont presque sortis d'affaire. Enfin, la dernière tente est dédiée aux moins veinards. Et avec ce virus, autant dire qu'ils sont nombreux. Mais on ne les mélange pas. A chaque étape de la maladie sa tente.

Nous les traversons sans perdre une seconde. Maria est au taquet. Elle avance à un rythme soutenu puis s'arrête devant le portique de la cours principale.

- C'est juste là, Madame Austin.

- Vous… Vous ne venez pas ?

- Non, je préfère vous attendre ici.

De plus en plus étrange. De quoi ce malade peut-il bien être atteint pour flanquer une telle trousse à Maria ? Elle en a pourtant vues des vertes et des pas mûres, elle aussi.

J'avance prudemment vers un groupe d'hommes. Ils semblent avoir encerclés un individu qu'ils ont pris la peine de recouvrir d'un sac.

- Que se passent-ils messieurs ? Pourquoi cet homme est-il masqué de la sorte ? Je peux le voir ?

- Attention Madame ! Attention à vous ! On l'a mis comme ça car il est méchant. Très méchant.

C'est Mabrouk, un local qui travaille comme gardien au camp. Son accent est aussi fort que sa loyauté.

- C'est à dire ? Méchant, comment ?

- Il est agressif, vous savez, très agressif. Il veut manger tout le monde. On l'a attaché, sinon, il saute sur tout le monde. N'importe qui… Les enfants, les parents, les sages. Il veut les manger. C'est un fou Madame. Croyez-moi, il est possédé par le démon.

Possédé ? Hum… Si chaque fois qu'un local m'ayant parlé de démon pour décrire un malade avait eu raison, j'aurais dû me reconvertir en exorciste. Mais à la vérité, ces possédés ne cachent bien souvent rien d'autre qu'une maladie, aussi connue de nos services qu'honteuse pour les populations du coin. Et cette fois ci, comme bien souvent, il va falloir que je mette un nom derrière ce démon. Ebola ? Probablement… VIH ? Pourquoi pas… Il n'y a qu'un moyen de le savoir.

Je fais un pas supplémentaire. L'homme semble grogner sous son sac en toile de jute. Mais il ne peut bouger, car maintenu assis au sol par les hommes l'encerclant qui le tiennent à distance à l'aide de fourches et bâtons.

Je me lance. Je veux savoir. Je tends mon bras droit, agrippe le sac et le retire lentement.

- Ahhh !

Prise de panique pendant un court instant, je sursaute tout en faisant un pas en arrière. En pleine nuit, malgré la faible luminosité de la cours, je parviens à fixer l'homme qui me fait face. Et ce que mes yeux observent, ils ne peuvent plus s'en détacher.

Car des malades comme celui-ci, autant dire que je n'en ai jamais vus. Ou plutôt si, j'en ai vus des tonnes au contraire. Mais normalement, les malades dans cet état ne bougent plus car ils sont morts. L'homme qui se tient devant moi est passé à trépas. Je peux mettre ma main à bruler qu'il n'y a plus la moindre étincelle de vie dans cette chose. Mais ce mort, aussi étrange que cela puisse paraitre est toujours bien vif. Et de toute ma carrière, je n'avais jamais rien vu de tel. Mort et vif à la fois, comment une telle aberration est-elle possible ?

Il n'y a qu'un seul moyen de vérifier mon rapide diagnostique, c'est de trouver son pouls, s'il en a un.

- Maintenez-le au sol, s'il vous plait. Et maintenez-le bien fortement.

- Attention à vous Madame Austin. Faites grande prudence avec lui. C'est un démon, je vous l'avais bien dit.

Ils le plaquent de toutes leurs forces au sol et me permettent ainsi de m'en approcher. Je n'ose tâter son cou alors j'essaie sur le poignet. Mais il est bien inutile de s'acharner à trouver quelque chose qui n'existe pas. Vu l'état de sa chair dépecée, de ses articulations arrachées, de ses veines séchées, cet homme a tous les symptômes du décès, et depuis plusieurs jours déjà. Mais alors, qu'est ce qui l'anime de la sorte ? Comment peut-il encore se mouvoir ? Et combien de temps cela va-t-il continuer ? Car l'odeur de puanteur qui l'accompagne en dit long sur le niveau de décomposition d'une partie de son corps.

Non, décidemment, je dois en avoir le cœur net. Je dois fouiller en profondeur.

- Emmenez-le au laboratoire messieurs. Je vais l'ausculter là-bas, j'ai besoin de quelques outils.

Pendant le trajet, j'en profite pour tenter de glaner des informations.

- Dites-moi Mabrouk. Comment est-il arrivé là ? Ce sont ces hommes qui l'ont amené ?

- Oui Madame.

- Et, ont-ils précisé qui il est ? Est-ce l'un d'entre eux ? Un habitant du village peut-être ?

- Nous ne l'avons jamais vu Madame. A non, jamais. Ca, je peux vous le certifier. Ce sont les enfants qui l'ont vu en premier. Il marchait sur le chemin de l'eau. Il était attiré par les enfants. Il voulait les manger. Oh oui, il avait grand faim et il voulait les dévorer. Mais les enfants, au début, ils lui jetaient des cailloux. Ils s'amusaient les enfants. Vous savez… Et puis, comme il s'est approché très près, ils ont eu peur alors ils ont couru au village. Mais il les a suivis.

- Mais pourquoi dites-vous qu'il voulait manger les enfants ? Comment le savez-vous ?

- C'est qu'en arrivant dans le village, Maloumbé s'est approché car il a vu que l'homme n'était pas bien. Il voulait savoir. Il lui a demandé comment ça allait. Puis le démon lui a sauté dessus et l'a mordu au cou. Immédiatement. Nous avons entendu crier, et c'est en arrivant que l'on a vu le démon en train de dévorer Maloumbé. Il lui mangeait la chair et buvait le sang. Il est possédé par le démon cet homme. Nous devons le libérer.

- Laissez-moi le regarder d'abord. Ensuite vous pourrez le libérer.

Nous arrivons enfin au laboratoire. Paradoxalement, l'homme est aussi lymphatique qu'agressif. Il a un mal fou à se déplacer correctement, mais son tronc est très vivace. Malgré les cordes et les bâtons qui le maintiennent, il n'a de cesse de remuer comme une anguille.

Il est vrai qu'il est difficile d'appeler ceci un laboratoire. C'est plus une salle d'opération de fortune qu'un réel laboratoire. Mais je ne me plains pas. C'est mieux que rien.

Ils tentent de l'allonger sur la table mais l'homme se débat. Il semble être d'une force redoutable, malgré son corps en lambeaux. Je me demande sincèrement comment cela est possible.

- Arrête de bouger, démon ! Bloquez-le ! Tenez-lui les pieds !  Arrggg !

C'est la pagaille ici. Personne n'arrive à maintenir le malade en place, si bien qu'il est arrivé à mordre Mabrouk à l'avant-bras.

Schouinnggg ! Quelqu'un vient de lui trancher la tête. Et elle a sauté de l'autre côté de la pièce, laissant son corps tomber telle une marionnette inanimée. Tout le monde est resté figé regardant cette tête ronde rebondir et rouler à quelques mètres de nous. Puis, dans un silence de plomb, sa bouche s'est mise à claquer, d'un son strident et horripilant. Nous nous observons tous, décontenancés, un peu comme pour demander à l'un d'entre nous d'agir. Mabrouk arrache alors la machette des mains du coupeur de tête puis se jette sur celle-ci et la tranche à plusieurs reprises, lui éclatant la cervelle.

- Le démon ! Je vous avais prévenu. Le démon est parmi nous !

- Mabrouk ! Calmez-vous mon ami. Et montrez-moi votre bras.

C'est que le type ne l'a vraiment pas loupé. Et Mabrouk n'avait pas tord. Ce type voulait bel et bien les manger. Car c'est tout un morceau de chair qu'il lui a arraché du bras. La cicatrisation risque d'être longue et je ne suis pas sûre que Mabrouk pourra retrouver toute sa force, le muscle étant bien entamé.

- Je vais vous refermer le bras, cher Mabrouk. Mais cela risque de piquer légèrement si vous me comprenez.

- Je vous remercie Madame Austin. Quand j'ai vu ses dents claquées, vous savez, j'ai eu très peur.

- Moi aussi, je dois bien reconnaitre qu'il m'a faite paniquer.

Je m'adresse alors aux autres membres du groupe. Je voudrais qu'ils m'aident à mettre le corps et sa tête dans un sac mortuaire mais si c'est un virus qui a mis cet homme dans cet état, autant qu'il ne se propage pas. Alors je demanderai à Maria de m'épauler. Entre professionnelles, nous savons comment agir dans pareille situation.

- Merci pour votre aide messieurs. Je vais m'occuper de soigner Mabrouk, peut-être devriez-vous rentrer au village maintenant.

Le groupe se disperse sans demander son reste. Je crois qu'ils seront autant marqués que moi par cette histoire. Mais pas le temps de rêvasser car Mabrouk a grandement besoin de soins.

- Mabrouk, asseyez-vous là, je vais vous administrer quelques premiers secours prioritaires.

La plaie n'est vraiment pas belle. Tout autour, la peau a déjà commencé à se ternir. Je ne sais pour quelle raison, mais malgré la couleur naturellement sombre de sa peau, on distingue clairement une zone plus contrastée, comme déjà asséchée et… pourrie. Oui voilà, c'est cela même, la partie autour de la plaie semble se décomposer.

J'attrape rapidement un puissant désinfectant.

- Serrez fort les dents jeune homme, ça risque de picoter un peu.

- Aïe !

- Je ne vous ai pas fait plus mal que ça ?

- C'est vrai que ca picote, Madame. Mais j'ai connu pire.

C'est étrange. Il aurait dû hurler de douleur. Le désinfectant n'est rien d'autre qu'un alcool à quatre vingt dix degrés. Mais non, il reste quasiment insensible. Je me décide à regarder de plus près et à ce que je vois, je dirais que la chaire au niveau de la morsure est déjà morte. J'en coupe un morceau à l'aide d'un scalpel, puis le mets de côté dans un flacon. Je voudrais pouvoir le conserver en l'état aussi longtemps que possible.

Je suis un peu surprise. La plaie continue de saigner légèrement mais Mabrouk ne semble pas en souffrir. Pourtant, je ne compte pas le laisser comme ça et le refermer va me prendre une éternité, vu la taille de la blessure.

- Mabrouk, je vais aller chercher Maria afin qu'elle puisse m'aider à vous soigner. Vous refermer le bras sera long et j'aurai besoin d'un peu de support. Attendez-moi quelques instants si vous le voulez bien. Allongez-vous ici sur la table d'opération et attendez mon retour.

C'est que je souhaiterais également prendre quelques outils supplémentaires dans ma chambre. De quoi envoyer des échantillons à Paris. Ici je ne suis pas suffisamment bien équipée pour les analyser. Je ressors du laboratoire et me rends en direction des appartements.

- Maria ? Maria ? Où êtes-vous ?

- Juste là Madame Austin.

- Ahhhhh ! Vous m'avez faite une de ces peurs... J'aurais besoin de votre aide si le pouviez. Mabrouk a été blessé, il faudrait de recoudre.

- Bien sûr Madame.

- Très bien. Suivez-moi dans ma chambre et aidez-moi à transporter quelques affaires.

Nous prenons tout ce qui peut m'être utile. La plupart des boites à échantillons sont hautement protégées. Une fois scellées, impossible de les ouvrir sans les clés adéquates. C'est que les saloperies que l'on y met à l'intérieur peuvent être particulièrement dangereuses. Le virus Ebola est de niveau V selon la classification de Baltimore, c'est dire sa nocivité. Alors les boites en ma possession ici seront parfaites pour y préserver quelques échantillons du possédé.

- Allez Maria, on y retourne. Mabrouk est souffrant.

De retour au labo, Mabrouk est toujours là, allongé sur la table. Alors que je m'approche, je distingue que son bras a grandement changé. La partie pourrie autour de la plaie a grandement progressé et c'est dorénavant le bras tout entier qui semble atteint. Mon plan se complique. Moi qui me demandais comment j'allais bien pouvoir le refermer vu la partie importante de chair et de peau manquante, j'en suis arrivée à me demander si je ne vais pas être obligée de sectionner le bras avant que les choses n'empirent.

- Mabrouk, vous m'entendez ?

- Oui Madame. Je suis bien là.

- Malheureusement, la blessure s'est gangrenée et… j'ai bien peur qu'il faille vous amputer le bras. M'autorisez-vous à le faire si nécessaire ?

- C'est vous le docteur, non ? Si vous le dites, alors vous le faites. Mais je ne suis pas certain de vouloir  qu'on me coupe… Vous me comprenez ?

- Oui, je vous comprends tout à fait, mais j'ai l'impression que la blessure est bien plus grave qu'il n'y paraissait. Alors… Faisons quelques tests d'abord. Si votre bras réagit bien, nous le conserverons. Si au contraire, je le sens condamné, nous devrons trancher.

- Le docteur sait, il décide…

Il prend l'annonce avec beaucoup de courage. En général, les gens paniquent lorsqu'ils apprennent la mauvaise nouvelle.

Je commence à lui installer le détecteur cardiaque. Je voudrais savoir comment son pouls réagit. Si je dois l'amputer, cela risque d'être une opération difficile. Il pourrait même y passer. Nous ne sommes pas suffisamment bien équipés pour ça.

J'observe d'avantage l'évolution de la plaie. La pourriture semble avoir recouvert la quasi-totalité du bras. Je ne sais si c'est superficiel, en surface seulement, ou bien si la gangrène est profonde jusqu'à l'os.

Je le coupe alors à l'aide du scalpel. Il ne ressent rien. Puis je le pénètre encore un peu plus dans sa chaire. Toujours rien. N'importe qui aurait crié avec ce genre d'acte. Mais le bras de Mabrouk semble malheureusement déjà mort. Et j'ai l'impression qu'il va falloir faire vite si l'on ne veut pas que la tête y passe. La pourriture a déjà atteint le début de l'épaule. J'ai bien peur que les choses soient compromises.

- Maria, passez-moi la scie. Il va falloir amputer. Et injectez-lui cinquante ml de sédatif. Mabrouk va en avoir besoin.

J'inspire à fond et me prépare au pire. Je déteste ça, les amputations.

- Je suis désolée Mabrouk, mais cela me parait beaucoup plus sérieux de vous amputer le bras maintenant. Si nous trainons d'avantage, c'est…

- Allez-y Madame Austin. Vous savez que j'ai confiance en vous. Si vous me soignez aussi bien que vous soignez les gens du camp, alors je vous devrai la vie.

Le sédatif injecté, je me prépare à lui entailler le bras. Il faudrait que je taille juste avant la rotule de l'épaule. De cette façon, il pourrait encore la faire pivoter.

Allez, à trois, je me lance. Un, deux… Biiiiiiiiippppppppppp. On a perdu son rythme cardiaque !

- Signal plat Madame. Que fait-on ?

- Marbouk ! Mabrouk ! Répondez-moi.

Je lui tape sur les joues pour tenter de le réveiller tant bien que mal mais rien n'y fait.

- Vite le défibrillateur !  Allez-y, chargez-le Maria. Et passez-le-moi.

J'agrippe les deux poignées de l'appareil et les frictionne l'une à l'autre.

- Enlevez-lui son T-Shirt, vite ! Allez Mabrouk, ne partez pas tout de suite. On va vous réveiller. Attention, reculez Maria, j'y vais.

Trouuuuufff ! Aucun effet.

- Allez, on recharge. Et on retente l'opération. Reculez bien Maria ou vous allez recevoir une décharge. Un, deux, trois !

Trouuuuuffff ! Toujours rien, signal plat.

- On recharge Maria, rechargez ! Encore un essai Mabrouk. Je vais te réveiller, moi. Tu vas voir ! Un, deux et trois !

Trouuuuuuufff ! Rien. Décidément rien. Toujours le même signal plat. Nous avons échoué à le ramener.

- Et merde ! Poufff... Heure du décès, deux heures et cinquante quatre minutes.

Je suis dégoutée ! Pour ma dernière nuit ici, je ne m'attendais certainement pas à passer une telle soirée.

- Maria... Je… Je vais ranger la salle. Ramenez-moi juste un sac mortuaire qu'on y mette son corps.

- Très bien Madame. Je reviens de suite.

Un coup au moral de plus. Décidemment, ce n'est pas mon jour. C'est que je l'aimais bien Mabrouk. Toujours très serviable, toujours disponible. Il était bien plus qu'un simple gardien. Je ne parlerais pas d'amitié, car nous avions bien peu de choses en commun finalement, mais il disposait d'une telle générosité qu'il était apprécié de tout le monde ici. Il va nous manquer.

Je m'assois de dépit sur l'une des petites chaises de la pièce et commence à regrouper les différents éléments que nous avions préparés pour l'opération. C'est que le matériel doit être toujours prêt. Un malade peut arriver à n'importe quel instant.

- Groooonnnnnnn…

Dans mon dos, un souffle. Ou alors un ronflement. Est-ce lui ? Est-il finalement revenu ? Alors nous aurions réussi ? Je me retourne le sourire aux lèvres, ravie de retrouver Mabrouk, mais le bip ininterrompu depuis quelques instants déjà me rappelle à l'ordre.

Mabrouk est toujours allongé. Il bouge la tête et les bras, et commence même à vouloir se redresser mais le signal sur l'écran de l'encéphalogramme est toujours aussi plat alors que les détecteurs sont bien implantés sur son bras gauche. Il y a quelque chose de complètement irrationnel là derrière. Mais tout aussi logique. En effet, Mabrouk ressemble au macchabée précédent, au démon qu'on nous a ramené et qui l'a mordu. Mabrouk est mort mais il bouge bel et bien et la façon dont il se tourne vers moi me fait penser qu'il me mangerait s'il le pouvait.

- Voilà le sac Madame.

- Repartez Maria ! Repartez tout de suite et allez chercher du renfort au plus vite ! Foncez !

Je ne suis pas sûre qu'elle ait bien compris la gravité et l'urgence de la situation, mais c'est plus sûr ainsi.

Boum ! En voulant sortir de la table d'opération, il s'est vautré par terre. Ses jambes ne semblent pas très à l'aise. Se mouvoir lui est difficile. Mais il se relève. Alors je me rue de l'autre côté de la pièce. Je ne veux pas qu'il me morde. J'ai vu le résultat d'une morsure. Non merci, je ne suis pas cliente.

- Grooonnnnnnnnnn !

J'ai bien peur qu'il m'ait prise pour cible. Si je ne déguerpi pas d'ici, il va me sauter dessus. Mais si je fuis, alors il s'en prendra à Maria ou à la première personne qu'il trouvera sur son chemin. Et ce sera un éternel recommencement jusqu'à ce que nous soyons tous transformés en mort-vif. Hors de question. Je dois le stopper, l'empêcher de nuire. Je ne veux pas d'une victime de plus ce soir.

Je tourne autour de la table d'opération à la recherche d'une solution. Il est tout proche maintenant mais il a bien du mal à contourner l'obstacle. Alors il tend ses bras et tente de forcer le passage.

Chbinnng ! Et voilà qu'il se vautre à nouveau en basculant par-dessus la petite table.

C'est le moment idéal. Une fois à terre, il est à ma merci. Je pourrais l'empêcher de nuire si seulement j'avais de quoi….

La machette ! Il me faut cette machette que je lui explose le crâne à mon tour. Cela a fonctionné avec l'autre gugus, cela fonctionnera avec lui.

- Satanée machette, où te caches-tu ?

Pourvu qu'ils ne soient pas repartis avec. Je regarde un peu partout et… La voilà, sur une petite armoire. Je me jette dessus puis me retourne aussitôt.

Schouinnnng ! Alors que Mabrouk tente de se relever, je lui fends le crâne en deux. Il s'écroule illico. D'une efficacité redoutable.

- Ahhhhh !

- Calmez-vous Maria. Calmez-vous s'il vous plaît. Et laissez-moi reprendre mon souffle quelques instants.

- Mais, Madame… Vous venez de tuer Mabrouk ? Enfin, je croyais qu'il était déjà mort ?

- Vous avez doublement raison Maria. Il était bien mort mais… Enfin, c'est compliqué, j'ai moi-même du mal à tout saisir. Qu'importe. Vous allez m'aider à l'enfermer dans un sac mortuaire. Et dites à cet homme de retourner à son poste et de bien ouvrir l'œil. D'autres comme le démon pourraient arriver.

Poufff… Dieu que c'est éprouvant.

Avant de le confiner dans le sac, je prends le temps de découper quelques morceaux de chaires, de peau et de cervelles ainsi que d'extirper un échantillon de sang. Dès demain, je tenterai d'envoyer tout ceci à Paris, dans un labo plus complet que le mien pour analyses.

Nous stockons les deux cadavres dans une tente séparée avec l'interdiction formelle d'y entrer. Ils devront être brulés à la première heure. C'est le meilleur moyen d'annihiler le danger qu'ils représentent.

- Maria, faites-vous une toilette complète et désinfectez-vous. Puis mettez vos vêtements dans un sac hermétiques à bruler également.

- Bien Madame.

Je retourne dans ma chambre puis décide de me nettoyer à mon tour. Après tout, j'ai été au contact des deux spécimens et peut-être bien qu'ils m'ont contaminée. Même si pour l'instant, je n'ai aucune idée de ce qui a eu Mabrouk, je ne peux m'empêcher de penser à une nouvelle souche d'Ebola.

Je stérilise tout ce que je peux, puis je désinfecte mes blouses, gants et outils.

Mais je veux savoir. Que s'est-il passé ce soir ? Pourquoi ces deux hommes morts se sont-ils relevés ? Et que cherchent-ils ? Quel instinct les guide donc ?

Trop de questions sans réponses pour ce soir. Impossible de dormir après ça. Je saute sur mon téléphone.

- Allô ? Claire ?

- Oui, c'est encore moi Peter. Je suis désolée de te déranger au milieu de la nuit, mais j'aurais… Enfin, j'ai des échantillons à t'envoyer. Pourrais-tu les faire analyser au plus vite ? Dès que tu les recevras ?

- Oui, oui bien sûr. Mais c'est pour ça que tu m'appelles à cette heure ci. Suit la procédure et il n'y aura pas de soucis.

- Non, justement Peter. Je ne veux pas suivre la procédure. Cette fois-ci, c'est différent. Ces échantillons viennent de patients atteints d'une maladie que je n'avais jamais vue jusque là. Alors, je voudrais savoir. Est-ce une évolution d'Ebola ? Ou autre chose ?

- Qu'est-ce que tu entends par différent ? Quels sont les symptômes ?

- Et bien, les patients décédés se… Comment dire ?

- Que font-ils ces patients ?

- Tu ne vas pas me croire Peter. Tu vas me prendre pour une folle.

- Accouche Claire. Tu ne m'as pas appelé pour le garder pour toi, n'est-ce pas ?

- Ils se relèvent Peter. Ils reviennent à la vie mais ils sont toujours morts.

- Qu'est-ce que c'est que ces balivernes ? A quoi joues-tu ? Tu n'es pas contente que je t'ai débarquée du camp alors tu cries au loup pour rester ?

- Peter, j'ai passé l'âge de ces enfantillages, des caprices et des histoires à dormir debout. Je ne te demande pas de me garder en poste. Jean-Michel me remplacera. C'est dit. Mais je voudrais que tu t'occupes personnellement de ces échantillons. S'il te plaît Peter. Peut-être n'est-ce qu'un cas isolé et auquel cas tout rentrera dans l'ordre. Peut-être n'est-ce qu'une nouvelle forme de filovirus ? Mais si ce n'est pas le cas, ce que j'ai vu ce soir pourrait être bien pire qu'Ebola, crois-moi.

- Ok, c'est compris Claire. J'y veillerai personnellement à tes échantillons, tu peux me faire confiance. Et je te dirai ce que c'est dès que j'en aurai les résultats. Mais toi, tu rentres bien demain, non ?

- Pas tout à fait. Je voudrais remonter la piste. Je prends quelques jours pour voir où elle me mène. Si je la perds, je rentre. Promis juré.

- Accordé. Mais quelques jours seulement alors. Puis tu reviens.

- C'est compris. Merci Peter. Et bonne fin de nuit.

- Oui, bonne nuit à toi également.

Je suis aussi excitée qu'effrayée. Ce que j'ai découvert ce soir est si alarmant. Mabrouk n'aura pas survécu plus de vingt minutes après la morsure et ce qu'il est devenu est abominable. Qu'arriverait-il si un homme dans son état était lancé au milieu d'une foule. Pas ici en pleine brousse, mais dans un centre commercial, un samedi de grande affluence. Un, puis rapidement deux, trois, dix. Puis vingt, cinquante, cent, cinq cent… La progression serait si fulgurante. Personne ne pourrait l'arrêter.

Demain, je me rends  au village de Mabrouk. Peut-être que les habitants m'en apprendront un peu plus. A moins que… L'un des hommes a été mordu au village. Un certain Maloumbé. Et zut. Pas le temps d'attendre à demain.

Je m'habille au plus vite après quoi je fonce réveiller Maria. Et tant pis pour sa soirée tisane.

- Maria, Maria ! C'est moi, c'est Claire. Ouvrez la porte s'il vous plaît.

- J'arrive… Que se passe-t-il Madame ?

- Habillez-vous et protégez-vous bien. On prend la Jeep. On doit se rendre au village. Je vais chercher l'un des gardes.

Je cours devant les tentes et me rue au poste de garde. Les trois gardiens y jouent aux cartes comme toutes les nuits.

- Amada, venez avec moi. Nous prenons la Jeep. Vous avez toujours votre couteau avec vous ?

- Oui, toujours sur moi Madame. Dans la brousse, c'est pratique.

- C'est parfait.

Je retourne au laboratoire récupérer la machette. Si le pire est arrivé sur place, il vaut mieux être équipé. Puis de retour dans la cours où Amada a démarré la voiture,  Maria nous rejoint.

- En avant, au village. Faites vite.

J'ai tellement peur de ce qu'il a pu arriver là-bas. Et si mon scénario catastrophe s'était produit ? Et si tout le village n'était plus rempli que de mort-vifs ? Un immense frisson me traverse le dos. Peut-être est-il trop risqué de s'y rendre ? Qui plus est en peine nuit ? Mais qu'importe, peut-être est-il également possible de sauver ces gens d'un immense malheur. Alors, autant tenter le tout pour le tout.

La route n'est pas très bonne. La chaussée est des plus déformées mais le village ne se trouve qu'à quinze minutes du camp.

Et je constate que nous y arrivons rapidement grâce à cet immense feu qui éclaire la nuit. Que peut-il bien s'y passer ? Il est plutôt rare que les habitants du village y allument un feu pendant la nuit. C'est que le bois est rare, et ils ont appris à ne l'utiliser qu'en d'importantes occasions.

- Dirigez-vous vers ce feu Amada.

- Bien Madame.

La voiture bondit et rebondit encore dans les nids de poules qui jonchent la route puis nous arrivons enfin au milieu du village, où l'ensemble des habitants semble s'être donné rendez-vous.

Je descends rapidement de l'auto. Je veux savoir. Car à l'odeur de cochon brulé qui accompagne les flammes du bucher, je ne nécessite pas bien longtemps pour en conclure qu'ils sont en train de bruler quelqu'un.

- Amada, suivez-moi et ne me lâchez surtout pas. Maria, prenez le volant et attendez-nous. Ne coupez pas le moteur. Préparez-vous à déguerpir en trombe si les choses tournent mal.

C'est que je les connais bien les habitants de ces villages. Ils sont persuadés que nous avons apporté Ebola, que le virus est en nous et que nous leur transmettons. Alors, s'ils ont trouvé un mort-vif, j'ai bien du mal à penser que je ne serai pas responsable de tous leurs maux.

J'interpelle une femme à l'entrée du groupe, mais plusieurs individus m'encerclent rapidement.

- C'est le démon que vous avez amené chez nous !

- Expliquez-moi. Quel démon ?

- Maloumbé a été attaqué par le démon. Le démon n'était pas l'un des nôtres. C'est vous qui l'avez amené !

Indéniablement, cette femme n'est pas prête à discuter et l'intriguant Maloumbé s'est bien transformé en mort-vif. Mais je veux en avoir le cœur net, et pour cela je dois m'approcher du brasier.

- Venez Amada. Ouvrez la voie s'il vous plaît.

Je suis Amada qui écarte la foule, couteau à la main, puis nous arrivons finalement devant le bucher où quatre silhouettes brulent de concert. La plus grande d'entre elles est très certainement ce fameux Maloumbé. Par contre, les deux plus petites doivent être des enfants. Quand à la dernière, peut-être est-ce sa femme. Peut-être ont-ils brulé la famille toute entière ? Les avait-il tous mordus ? Ou bien est-ce une punition collective ? Peut-être ne devrais-je pas chercher à le savoir. Après tout, ce qui m'importe, ce sont les mordus. Y a-t-il d'autres mordus dans le village ?

- Amada. Essayons de nous approcher du chef du village.

- Inutile Madame, c'est lui qui vient à nous.

Effectivement, et il est en bonne garde. J'espère qu'Amada n'aura à pas se battre.

- Ce sont les démons ! Les démons que vous avez apportés avec vous !

Je connais le refrain… Mais cela ne m'en dit pas plus sur les potentiels mordus.

- Que s'est-il passé, chef Mahaki ? Explique-moi. Dites-moi.

- Maloumbé a été touché par le démon ! Alors le démon est entré en lui et l'a possédé. Maloubé n'était plus Maloumbé ! Le démon qui le contrôlait a attaqué sa propre femme alors qu'elle prenait soin de lui. Mais nous l'avions prévenue. Personne ne peut vous sauver du démon. Alors le démon l'a mangée !

- Et pour les enfants ?

- Le démon est entré dans cette famille. Seules les flammes peuvent purifier du démon. Car il est trop vilain. Trop sournois. Il commence par une famille puis c'est le village tout entier qu'il fini par posséder.

Mes craintes étaient fondées. Les enfants n'ont été que des victimes collatérales. C'est horrible.

- D'autres personnes ont-elles été mordues ? Je dois savoir. Dites le moi.

- Le démon était dans cette famille. Il les a choisis. Il les a infiltrés. Il se servait d'eux pour faire entrer le mal dans ce village. Mais vous savez tout ça car c'est vous qui avez amené le démon.

- Je suis médecin, je soigne les gens. Je ne les tue pas…

Bah… Inutile de discuter avec eux plus longtemps.

- Hey ! Lâchez mon bras !

Voilà, les choses vont commencer à dégénérer. La foule s'agite. Ils me prennent à parti. Bientôt, ils chercheront un bouc émissaire, afin que quelqu'un paye, et je serai la coupable idéale. Bref, il est temps de déguerpir.

- Amada, allons-y. J'ai vu ce que je voulais voir.

Nous traçons notre chemin à travers la foule sous les regards culpabilisants des habitants. La tension est plus que palpable. L'envie de me sauter dessus et de me jeter au bucher suinte de tous leurs membres. Leurs doigts sont tellement crispés, leurs mâchoires tellement serrées, qu'une simple étincelle pourrait me projeter dans les flammes. Je m'agrippe à Amada, et le pousse à avancer plus rapidement dans la foule. Il nous faut sortir d'ici avant que le pire ne se produise.

Poufff, je respire… Ils ne seront finalement pas passés à l'acte et je ne vais pas m'en plaindre.

- Allez Maria, foncez. Je ne veux pas rester une seconde de plus ici.

- Bien madame Austin.

Nous quittons expressément les lieux. Je suis finalement plutôt rassurée par ce que je viens de voir. Certes, la mort de cette famille n'a rien de réjouissant, mais savoir qu'il n'y a plus de traces de mort-vifs me permet de repartir l'esprit serein. Au moins, cette souche a été nettoyée.

- Vous savez Madame, s'ils nous ont laissés partir, c'est grâce à Mabrouk. Il vous appréciait beaucoup. Il leur disait toujours le plus grand bien de vous. C'est à lui que vous devez la vie sauve ce soir.

- Alors inutile de salir sa mémoire, Amada. Ne divulguez pas la fin tragique à laquelle il a dû faire face.

Mais tout ceci ne me dit rien de plus sur les origines de ce mal. L'homme n'était pas originaire du village. Alors d'où venait-il ? Et combien de temps a-t-il bien pu errer à travers brousse avant d'arriver ici ? Qui sait combien de gens il a bien pu mordre pendant son trajet ?

Toutes ces questions m'inquiètent d'avantage. Et je déteste les questions sans réponses. Il doit bien y avoir un indice quelque part ?

- Dites-moi Amada. Vous étiez là dans la cours quand je suis arrivée tout à l'heure. Vous mainteniez l'homme au sol. Celui avec le sac sur la tête. Que savez-vous de lui ? A-t-il parlé ?

- Le démon n'a pas parlé pas Madame. On ne le connaissait pas. Personne ne l'avait jamais vu. Même ses vêtements ne sont pas d'ici.

- Et arrête de l'appeler le démon s'il te plaît. Il n'y a pas de démons, de vilains, ou de possédés. Il n'y a que des gens atteints de pathologie… Des malades, quoi ! Vous me rendez folle avec vos croyances d'un autre âge…

- Mais… Les démons existent Madame Austin. Je les ai vus… Et vous les avez vus, vous aussi.

- Excuse-moi Amada. Ce sont les nerfs qui lâchent. Je me suis emportée à tort. Reprenons si tu le veux bien. Donc, cet homme, tu ne l'avais jamais vu, tout comme sa tenue. Qu'a-t-elle de si particulier cette tenue ?

- C'est un travailleur. Il ressemble à un travailleur des usines comme sur les images.

Intriguant. Le plus simple reste encore que je vérifie tout ceci sur son cadavre en arrivant.

- Une dernière chose Amada. Il venait de quelle direction, cet homme ?

- Ils ont dit qu'il marchait sur de la route de l'eau, c'est celle de l'est Madame.

Je reste plongée dans mes pensées pendant les dernières minutes du trajet. Maria ne s'en sort finalement pas si mal au volant, je sens à peine les trous de la chaussée. Comme quoi, femme au volant…

Nous voilà enfin de retour. Avant de retirer tout mon barda, je souhaite aller fouiller la dépouille du type inconnu. Peut-être aura-t-il des informations sur lui ?

Je rentre dans la tente que nous avons dédiée aux cadavres des deux mort-vifs. Demain, nous les brulerons. J'en vérifierai moi-même la bonne exécution. Mais dans l'immédiat, c'est la peur au ventre que je progresse à petits pas dans l'enceinte de la tente. Et s'ils se relevaient de nouveau ? Après tout, s'ils ont pu le faire une fois, pourquoi ne recommenceraient-ils pas ?

J'observe les sacs avec une attention toute particulière. Si le sac bouge, c'est que le mort à l'intérieur remue. Ils sont au nombre de trois. Sur la gauche, celui de Mabrouk. A sa droite, le corps de l'homme inconnu, et juste à côté, dans un sac pour enfant, nous avons glissé sa tête. Mais rien ne bouge. Peut-être sont-ils définitivement morts ? Enfin…

Avant d'ouvrir le sac, je lui tape du pied pour voir s'il réagit. Toujours rien. J'agrippe fortement la machette. C'est psychologique. Ce corps n'ayant plus de tête, il ne devrait être qu'inoffensif. Mais bon, cela me rassure.

De l'autre main, je tire la fermeture éclaire du sac. Le corps est totalement inanimé. Il me semble qu'il n'y a plus rien à craindre finalement.

Alors, ces vêtements, qu'ont-ils de si spécial ? C'est vrai qu'ils ressemblent plus à une tenue qu'à des vêtements du quotidien. Ils sont relativement épais d'ailleurs, comme pour protéger le porteur. Mais le plus intéressant, ce sont les inscriptions brodées sur le torse : Sichuan Shenhong Chemical Industry Co. Ltd.

Soit cet homme a acheté ces fringues au marché aux puces du coin, soit il travaille pour cette firme. En tout cas, j'ai ma première piste. Mais je ne m'arrête pas là. Ce n'est pas très beau, mais je crois bien que je vais lui faire les poches.

En fouillant les poches intérieures de sa veste, je retrouve une carte d'accès, avec la photo de l'homme, son nom, Yaté Makoun, et le même nom de société. En son dos s'y trouve également une adresse… au Nigéria. Eh bien, il en aura fait du voyage notre démon.

Cette fois, j'y suis. J'ai enfin une piste à remonter.

Je retourne alors dans ma chambre et rassemble mes affaires. Je veux être prête pour partir à la première heure, juste après la crémation des corps. Je prends la peine de noter tout ceci sur mon portable, dans les moindres détails, puis je l'envoie par mail à Peter. Qui sait ce que je vais trouver là-bas. S'il m'arrivait malheur, autant que quelqu'un soit au courant de tout car il ne s'agit pas tant de moi que de santé publique.

Et alors que je m'allonge pour me reposer un tantinet, je n'ai de cesse de repenser encore et encore à ce que j'ai vu ce soir. Mort et vif à la fois, comment est-ce possible ?

Fin du Tome I

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